C'était un fief du groupe Scorpio. Cette formation musicale durant les années 80 jouait tous les dimanches à l'hôtel Simbi Continental. C'était surtout un grand hôtel avec une cour boisée, fleurie, gazonnée et dotée d'une grande piscine. Pris d\'assaut par quelques centaines de personnes à la chute de Jean-Claude Duvalier en février 1986, l'hôtel Simbi Continental, situé entre Martissant 25 et Fontamara 27, est aujourd'hui une énorme poche de misère. Bétonnée.
Photo de l'immeuble de l'hôtel Simbi Continental |
L'immeuble de trois étages n'est plus qu'un squelette de béton squattérisé sale et fissuré. Dans ce qui reste du jadis prestigieux Hôtel Simbi Continental (ex-Madan Gano), vivent plus d'un millier de personnes qui ne paient pas un sou pour se loger. Il y a de cela 21 ans, à la chute de Duvalier, le mouvement de « dechoukaj » a changé la destinée de cet espace vert, propre et calme qui faisait la joie des étrangers et des habitants de Port-au-Prince.
La déchéance
Il est 13h45. De lourds nuages grisâtres masquent les rares rayons de soleil qui, de temps à autre, réjouissent l'atmosphère. Plusieurs parents suivent leurs enfants qui reviennent de l'école et qui convergent vers la barrière d'entrée de l'hôtel Simbi Continental, qui affiche aujourd'hui des enseignes de pseudo-compagnies de réparation de téléphones portables.
Une herbe sauvage pousse entre une vingtaine de carcasses de véhicules abandonnés, remplaçant gazon et rangées de fleurs qui accueillaient naguère les visiteurs. À gauche de l'entrée, autour d'un tuyau d'arrosage, des dizaines de gens, des femmes pour la plupart, recueillent dans leur seau le précieux liquide. Un peu plus haut, de jeunes femmes assises à même le sol ou sur des piles de linge font la lessive. Un sentier en béton lézardé conduit au rez-de-chaussée délabré où l'on vendait autrefois des tissus. Des gens habitent maintenant dans l'ancien magasin, partageant l'espace avec plusieurs petits commerçants. Des vêtements multicolores pendent sur tous les balcons.
Les trois étages comptent environ une quarantaine d'appartements. Trois, et jusqu'à dix personnes, habitent chaque unité d'habitation. Ce qui n'était qu'une chambre accueille aujourd'hui lits, salle à manger et salon. Le balcon, pour sa part, sert de cuisine, de salle de bain et aussi de galerie ou de dortoir aux « restavek ».
La fumée des réchauds de charbon de bois noircit les murs des balcons. L'immeuble, construit en 1954 et qui n'a pas bénéficié depuis 1986 de travaux de réaménagement, s'écroule peu à peu. Murs et poteaux se fissurent. A maints endroits dans certains appartements, il manque des pans entiers de plafond. Le système de plomberie et d'électricité n'existe plus. D'ailleurs, les toilettes sont converties, chez certains ménages, en chambre d'enfant.
À partir des balcons, une vue imprenable sur la baie de Port-au-Prince s'offre encore aux occupants. Malheureusement, le spectacle contraste avec la déchéance de la cour. La grande piscine sinueuse est aujourd'hui une mare d'eau sale, verdâtre où nage une mosaïque d'objets en décomposition. Ce nid de microbes est aussi un objet d'attraction pour certains enfants qui viennent jouer, gaules en mains, avec les larves et autres bestioles qui y prolifèrent.
À droite de la piscine, trône une buvette avec un toit en tôle de forme conique. A l'ombre de celle-ci, une petite « église » a pris place. Une dizaine de femmes et d'hommes à l'écoute d'un prédicateur constitue toute l'assemblée. Ce dernier réclame à chaque minute de ses croyants un amen bruyant.
Plus loin, dans une espèce de piste circulaire, là où les groupes musicaux s'installaient autrefois pour jouer, une jeune fille dans la vingtaine prend son bain. Des deux extrémités de l'immeuble, une dizaine de latrines desservent les occupants de la propriété. Les « appartements » sont dépourvus d'eau et d'électricité. Quand la nuit tombe, cette vaste cour est plongée dans le noir total. « On bénéficie maintenant d'un peu d'éclairage sur la cour grâce à deux grands projecteurs installés devant la Riviera Plazza, située de l'autre côté de la rue (Blvd Jn Jacques Dessalines) », témoigne Jérôme. « Aussi étrange que cela puisse paraître, les projecteurs du stade Sylvio Cator nous sont aussi d'une grande utilité, car quand ils sont allumés, toute la cour est éclairée », ajoute-t-il. Mais quand cette grande propriété est dans le noir, les bandits et rançonneurs de la zone se réjouissent. Après leur forfait, ils se réfugient dans la cour ou encore la traversent pour déboucher sur Fontamara 27. Ce qui porte plus d'un à croire que l'ancien hôtel serait un repère de bandits. « Je ne dis pas que tous les gens qui habitent ici sont des saints, mais il n'y a aucun gang. Toutefois, sous le règne d'Aristide, des bandits proches du pouvoir s'étaient réfugiés ici, mais la population les a chassés et a même pu livrer certains à la police », nous explique William (nom d'emprunt) qui habite le squelette de l'hôtel Simbi Continental depuis 1991.
L'avenir de l'ex-hôtel Simbi Continental
Vu la situation physique de ce vieux bâtiment, la sécurité de ses occupants n'est pas du tout assurée. N'importe quelle secousse sismique peut tourner au drame. « En plus, nous croyons que ce vaste local, qui appartient à l'État depuis l\ère de Jean-Claude Duvalier, avec sa grande cour pourrait mieux servir la communauté si on l\'utilisait autrement », dit un responsable de rédaction d'un média de la capitale haïtienne.
En effet, plusieurs cartels municipaux de Port-au-Prince se sont déjà penchés sur le dossier de cet ancien hôtel de luxe. Certains d'entre eux avaient même songé à régulariser le statut de ses occupants. Ce qui n'aurait pas changé grand-chose quant à l'avenir de l'espace. Toutefois, l'actuel conseil municipal de Port-au-Prince étudie trois projets qui pourraient être exécutés pour une utilisation plus « rationnelle » de la propriété. « Il est possible qu'on y construise un hôpital au profit de la grande poche de population située au sud de la capitale», nous confie sous toute réserve un haut membre de l'administration de la mairie de Port-au-Prince. On pourrait aussi y construire une gare routière pour les départements du Sud, du Sud-Est et de la Grand'Anse, ainsi qu'un grand espace de loisirs, ou encore une grande école professionnelle municipale... Tout ceci est encore à l'étude. Mais ce qui est sûr et certain, c'est que la mairie de Port-au-Prince va récupérer l'espace, assure-t-il.
Le vieil immeuble décrépi pourrait ainsi renaître, retrouver cette joie de vivre et ce plaisir qui étaient, jadis, maîtres des lieux. Mais cela, si et seulement si, ces projets se réalisent enfin. Et cessent d'être seulement des lettres sur du papier. Des lettres mortes.
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