Les jours se ressemblent tellement, que même les dimanches ne sont plus beaux. Ils n’ont plus aucune odeur particulière. Tous les jours se ressemblent. Tous apportent les mêmes monotonies dans cette vie, désormais, emmurée. Coronavirus oblige. Il m’a fallu trois semaines à me battre contre l’ennui pour me rappeler que du confinement je pouvais me libérer. Lire! Pour la première fois de ma vie, j’ai lu trois livres en entier, la moitié d’un quatrième et le quart d’un cinquième dans moins de huit jours. Depuis, je sors, je monte les avions. Rome, Barcelone, New York, Paris… ne sont plus pour moi des villes fantômes interdites.
Jamais une assertion n’a pu se vérifier aussi bien dans le vécu: “lire, c’est voyager”. Après avoir regardé tous les meilleurs films et séries télé sur les virus et la fin du monde. Question de tout savoir sur la propagation des pandémies et à quoi la fin de la planète ressemblerait. Après m’être rendu compte qu’aucune obligation ne me contraignait à me lever à une heure précise. Après avoir été au lit à trois, quatre, cinq heures du matin pour me réveiller après midi, sans problème de conscience et sans aucun devoir qui m’obligerait à procrastiner. Après des jours, sans aucun pain sur aucune planche. Sans rien. L’ennui a été l’étape suivante. À partir de ce moment, on n’arrivait plus à distinguer les jours de la semaine. Les lundis étaient pareils aux vendredis soirs. Ils ont tous les mêmes couleurs, les mêmes odeurs… Même les dimanches ne se démarquaient plus.
André Gide, Giacometti, Eric-Emmanuel Shmitt, Dostoïevski… m’ont permis de sortir sans risque d’être infecté par le Covid-19. L’ennui est devenu un mot d’un passé récent.
Lire, c’est voyager au temps du confinement
Aucune personne âgée de 50, 60 ou même de 70 ans n’a déjà connu un temps où Rome, Londres, Paris, New York, Barcelone… ont été, en même temps et pendant si longtemps, des villes fantômes, désertes et où la peste semble courir à pieds nus. Autant de peur n’avait été aussi inspirée à l’idée de s’aventurer dans leurs rues, jadis lumineuses. Alors que la lumière semblait s’y loger de façon éternelle. Pourtant, aujourd’hui, tout cela semble être inscrit dans un passé lointain.
C’est angoissant aujourd’hui d’imaginer que ces villes soient vidées de leurs joies, de leurs femmes et hommes qui vendaient le bonheur, même éphémère; de leurs restaurants de luxe, de leurs hôtels hors de prix, de leurs salles de cinéma, de leurs galeries d’art, de leurs librairies et bibliothèques. Et c’est davantage stressant de ne pas savoir quand le soleil reviendra sur ces villes ou sur notre quartier sur la terre d’Haïti. Beaucoup de choses sont recommandées pour éviter d’augmenter son stress. Par exemple, on suggère de tourner dos aux constantes informations qui nous font penser que la fin du monde est pour demain, que l’économie mondiale ne s’en remettra pas, qu’Haïti est condamné… Mais même quand on n’écoute plus les bulletins d’informations ou que l’on ne lise plus les journaux ou les médias en ligne qui nous bombardent des chiffres sur les nouveaux cas infectés et sur les morts, l’enfermement forcé, mais qui reste la meilleure option pour éviter d’être fauché par le virus, génère autant d’angoisse que les mauvaises nouvelles relayées à travers la presse.
À bien des égards, on sent tous le besoin de sortir, de voyager, de voir des choses que l’on a jamais encore vu ou de revoir des endroits qui nous ont marqués au fer rouge du bonheur. Mais sortir, voyager… nous sont désormais interdits ou suicidaires. Mais il est possible de faire tout cela, tout en restant dans le confort de sa chambre, de sa salle de bain, sous sa galerie ou sous son arbre préféré. Jamais la lecture d’un bon livre n’aura été aussi libératrice. J’en ai fait l’expérience. C’est révigorateur pour son bien être physique et spirituel.
Les images des films et des séries ne permettent pas à l’imagination de travailler. Ça la rend même paresseux. Parce que tout nous est offert. On n’a rien à imaginer ou à ajouter quand on vous sert en son, images colorées un Broadway avec ses gens qui montent et descendent sans arrêt. Le réalisateur, aidé de ses cadreurs, présente toute la beauté de Paris avec ses bâtisses couleur beige et ses rues étroites. On a tout de suite envie d’explorer Barcelone quand nos yeux la gouttent derrière l’écran. Et les images de Rome inspire toujours une aventure dans ses ruelles, ses fontaines et ses sculptures majestueuses. On regarde. On voit tout. On entend tout. Et tout s’arrête là. C’est le grand désavantage de la télévision.
Par contre, quand vous déambulez à travers Rome et Vatican avec le professeur en symbologie, Robert Langdon dans “Anges et démons”, du célèbre Dan Brown, c’est votre esprit qui pose chaque brique des rues, c’est lui qui sert de mains aux iconiques sculptures et peintures de Michel Ange. L’esprit n’a pas le temps de s’ennuyer. C’est comme offrir des exercices à celui-ci pour être en meilleure forme. Et c’est doter l’esprit de tous les pouvoirs. Même de celui de redéfinir l’éternité.
Lire, c’est réinventer l’éternité
C’est gratifiant pour l’âme de pouvoir transformer les lettres et les mots en images, sons et lumières. À ce moment, ce ne sont plus des mots que l’on voit, ce sont des personnages que l’on campe, des pleurs que l’on tait comme des couchers de soleil, des rires que l’on fait éclater comme des levers de soleil, des baisers qui deviennent éternels par la seule force de notre esprit. Lire c’est partir en aventure en ne faisant confiance qu’à l’auteur pour monter dans des avions avec des pilotes que nos regards ne peuvent pas juger, parce que l’auteur l’a déjà fait; c’est courir dans la forêt sans craindre qu’un animal sauvage ne vienne nous transformer en repas du soir. Lire c’est partir, s’absenter pendant des années, des décennies et même des siècles sans devoir donner des excuses ou des explications à personne.
On rentre dans la toilette, livre en main, en boxeur ou en petite culotte et on assiste, quelque pages plus tard, en smoking ou en robe de soirée, aux plus grands cérémonies, concerts et exposition du monde. Lire c’est voyager dans le temps sur les ailes des pages et des lettres qui défilent sous nos yeux. Lire c’est revenir sur le passé et d’en ausculter les gestes manqués, les erreurs que l’on ne fera plus dans le présent ou de bâtir avec l’auteur le futur avec les petits bonheurs que la vie sait nous réserver. Tout ceci dans le silence où seule l’histoire crie son déroulement.
Lire, c’est du bruit dans le silence
C’est fascinant que d’être dans un champ de bataille avec les armes qui chantent, les canons qui tonnent, les cris qui agacent alors que tous ces bruits montent dans le même silence où prend chair la lecture. Seul bruit concret dont on a conscience, est le bruissement des pages que l’on tourne et retourne. Nos yeux, à pas feutrés, se glissent tout le long de chaque page pour faire éclater des sons que seul notre esprit entend.
C’est remplissant que de constater qu’autant de cliquetis, de galops de montures, de ronronnement de moteurs, de pleurs, de rire et de silence puissent se contenir dans la sobriété de quelques pages collées ensemble. Dans le silence parfait de son coin de lecture, des vagues violentes se heurtent contre des récifs rebelles; des orages et des mauvais temps font la guère à des embarcations. On devient maitre autant des douleurs bruyantes que des silences amers.
Lire c’est le pouvoir que l’on se donne de se placer dans le confort des histoires aux fins heureuses que dans l’angoisse des aboutissements malheureux avec des rebondissements inattendus ou inespérés.
Sortir, marcher, courir, voler, voyager… Tout ceci est possible à travers la lecture d’un bon livre. L’imagination, boostée par cette dernière, fera plier tout sentiment d’ennui. Vous pouvez changer la monotonie des quatre mûrs qui étouffent en partant dans des aventures qui peuvent vous emmener dans tous les endroits qui, aujourd’hui, nous sont interdits de visiter. Vous pouvez aussi apprendre de nouvelles choses, de nouveaux mots, de nouveaux visages, de nouvelles couleurs et odeurs, de nouveaux sons… qui vous permettront d’oublier un confinement que vous n’avez pas choisi d’appliquer. Que vivent toutes les aventures que les pages des livres vous invitent à embrasser.
Gaspard Dorélien, MA
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