mercredi 10 avril 2024

Stoïque 10 avril

 “Desert rose” ne m’a pas raté ce matin. Je me suis retenu pendant que j’avais une passagère avec moi. Elle est descendue. La voix de Sting est restée. Et là, j’ai mouillé même ma cravate pendant que je traversais cette Ottawa ensoleillée. Mais avant d’arriver au parking sous-terrain du bureau, j’ai laissé Mary J. Bridge prendre la place à mes tympans dans “Family affair”. Je ne peux pas revenir et effacer les souvenirs des 8 précédents 10 avril, celui-ci, je peux décider d’en faire un nouveau qui sera agréable à revivre l’année prochaine. Je me suis heureusement rappelé que je pouvais être stoïque. 


Le premier 10 avril, j’étais à Vegas. Il y avait plein de promesses: amour, fidélité, soutien mutuel… C’est là que tout a commencé. Le deuxième à Haïku, à l’Hôtel Royal Oasis, à Pétion-Ville…, un super beau moment… Le quatrième, solitaire, mais satisfait, devant plusieurs Prestige fraîches et des olives vertes épicées à Station 73, à Delmas. Le 6e, sur le sable chaud d'une plage à Las Terrenas, en République Dominicaine... Le 8e dans un sous-sol, à Orléans, au Canada, essayant de récoler des morceaux cassés qui ne pouvaient absolument pas se recoller, ça je ne l’ai réalisé qu’entre le 13 et le 20 juillet 2023.


Le 9e là, je vais envoyer un courriel responsif, je serai facturé pour la réception, la reformulation et le transfert à qui de droit. C’est le premier 10 avril où je me fais une dette pour avoir envoyé un courriel. Mais je comprends et accepte que tout a un prix. Je paierai pour ce courriel pour ne plus être lié aux désormais, funestes souvenirs du 10 avril. 


Toujours se focaliser que sur ce que l’on peut contrôler. Et non l'inverse. Quand on réalise cela, on est stoïque. 




Gaspard DORÉLIEN 

Ottawa

10.04.24

10:24

samedi 6 avril 2024

Danser à minuit sous zéro degré

C’était du compas. J’ai reconnu les pas. Elle portait un manteau rose et un jean bleu. Et lui, un veston en cuir couleur marron. Il était minuit passé de trois minutes. J’ai été témoin de la plus mignonne scène romantique que le Canada m’ait jamais offerte.


Sur le Chemin de la Côte Sainte-Catherine, à Montréal, il faisait 3 degrés avec un ressenti de zéro degré, pourtant un jeune homme et une jeune fille semblaient vouloir arrêter le temps et défier la température, briser les codes de la normalité; vivre et profiter de l’instant présent; exprimer la gratitude d’être ensemble; profiter d’un instant de bonheur que les interdits ne sauraient leur ôter et penser en dehors de la boîte.

 Ils dansaient devant un complexe d’appartements en ignorant les voitures qui passaient; moi qui me suis arrêté pour les observer; les petites vieilles qui pourraient les épier à partir de leurs fenêtres; les conformistes qui pourraient les juger ou les envieux qui pourraient les maudire.

Ils se souriaient, se prenaient par la main, tournoyaient, "plogueaient"… Ils étaient tout ce que les autres s’interdiraient ou jugeraient ridicule. Ils dansaient, s’épousaient, faisaient parler leurs corps qui se comprimaient et s’écartaient alternativement.

C’était leur moment, leur musique, leur danse, leur jouissance et leur connivence.

 La danse s’arrêta, le cavalier déposa furtivement un bref baiser sur le front de sa coéquipière. Ils s’étreignirent, échangèrent des mots que je ne devinerais jamais. Elle entra toute seule, le jeune homme regagna son véhicule garé dans l’allée dont les portes avant étaient restées ouvertes. La musique qu'ils dansaient se jouait probablement dans la voiture. Je n'étais pas assez prêt pour confirmer. Il démarra rapidement, comme si, d'un coup, il reprenait conscience que le temps, lui, ne s'était pas arrêter le temps de son écriture chorégraphique.

En me dépassant, j’ai reconnu la fin du morceau intitulé “Lasyans” de Medjy du défunt groupe Enposib. Ma musique fétiche depuis novembre de l’année dernière. Dans tous les cas, “youn te sanble byen renmen lòt, san youn pa sezi”.

Gaspard DORÉLIEN 

Montréal 

07.04.24 

1h11 AM

mardi 26 mars 2024

Authenticité


J’ai gardé le sourire béat sur plus d’un kilomètre. Il m’a fait sourire. De mon lieu d’Haïtien d’avant 1986 qui a été témoin de ce que manifestation veut dire, je ne pouvais ne pas sourire. Après le sourire est venu le temps de la réflexion. Et j’ai vu dans sa solitude de l’authenticité, de la conviction, de la détermination. Ce matin, sur Montréal Road, à Ottawa, du haut de mes 40 ans et poussières, j’ai vu la plus singulière protestation de ma vie. Un homme seul brandissant une pancarte: “No tax carbon”.


Peut-être lui a-t-on dit non. Ou lui a-t-on peut-être posé un lapin. Ou alors sa conviction est tellement forte que la solitude de sa démarche ne l'a pas dissuadé de se faire entendre ou se faire lireIl incarne pour moi l'authenticité. Le courage.

Il ne fait pas dans la surcompensation, contrairement à beaucoup d’entre nous sur les réseaux sociaux, où nous ne montrons que nos succès ou prétendons posséder des qualités que nous n'avons pas, des convictions que nous n'adoptons même pas, une guérison que nous ne connaissons pas, un bien-être que nous n'expérimentons pas. Cet homme doit être conscient que des causes plus médiatisées n’ont pas toujours abouti, mais cela ne l’a pas découragé.

Je suis resté une minute entière à l’observer. Il à commencé à parler, mais avec une forte énergie, à un sexagénaire sur une chaise roulante électrique. Ce dernier a servi d’éponge à ce singulier protestataire.Je me demande s'il a considéré la faible probabilité que son auditeur, étant donné sa situation, puisse se rallier à sa cause. Mais jamais sa main droite qui portait la pancarte n’a été baissée.

Gaspard DORÉLIEN
Ottawa
26.03.24
13:13

vendredi 22 mars 2024

Dormir, rêver et rêver !

 

Dans mes rêves, je reste très rarement au Canada. Je m’envole toujours vers des contrées pour vivre ce que mon subconscient cache ou ce que mon conscient convoite. Hier soir, ou peut-être ce matin, durant de longs instants, je suis retourné en Haïti. J’ai redécouvert la mer, Miss AnayizZ, Mirebalais, des gens que j’aime et d’autres que j’ai aimé. C’était beau! C’était vrai! Je donnerais beaucoup pour que ça dure longtemps. Très longtemps. 

À mon réveil, tard, bien tard ce matin, j’étais bouleversé. Non que je désapprouve la réalité de mon nouveau monde, mais les sensations éprouvées dans le rêve étaient douces, authentiques et profondes. J’ai revu ma terre natale dans des moments de loin meilleurs que ceux d’aujourd’hui. J’ai renoué avec des personnes qui me sont chères, vécu des moments d’une qualité exceptionnelle. 

Des têtes toxiques ont aussi traversé cette parenthèse enchantée. Leur présence, toutefois, pâlissait face à la lumière des belles âmes qui animaient mon rêve.

Au-delà des livres, je suis convaincu que pouvoir rêver et se souvenir des détails constitue la plus belle échappée, permettant de savourer ou de resavourer le bonheur d’ailleurs. Comme j’aimerais retrouver Haïti avec cette même sérénité qui m’a envahi dans le rêve de ce matin. Retrouver ces belles personnes qui étaient sincères et qui le demeurent jusqu’à ce jour !

Ottawa
22.03.24
12h12

mardi 19 mars 2024

La bombe est dans l'avion

 Tout le monde périra, mais tous semblent n'en avoir pas conscience. Une bombe dans la classe économique soufflera tout l'avion, y compris la classe affaires. En Haïti, les élites ont toujours cru que les maux de Cité Soleil n'atteindraient jamais leurs collines. Et, fort de cette croyance, tous ont laissé le petit bouton se convertir en plaie béante. En mars 2024, elle se métastase.



C'est un fait indéniable. Quand il y a une répartition injuste de la richesse, ceux qui sont laissés pour compte n'auront, un jour, d'autre choix que de devenir cannibales. 

En 2018, une annonce revenait sans cesse sur mon fil d'actualité Facebook : « Quand les pauvres n'auront plus rien à manger, ils mangeront les riches. » Je vais lire Gérard Mordillat, auteur de “La Tour abolie”, pour mieux comprendre cette prédiction. La première fois que je suis tombé sur cette prophétie, j'ai eu un pincement au cœur. Et ensuite, j'ai fait l'autruche. “On ne laissera jamais les pauvres démunis en Haïti au point de devoir manger les riches pour survivre.” Je savais que je me mentais en raisonnant ainsi. J'avais déjà tous les indicateurs devant moi :
- une exclusion planifiée par la marginalisation de la majorité de la population ;
- une exode rurale croissante ;
- un système éducatif diversifié où les pauvres n'ont souvent pas accès, ou alors seulement aux “écoles borlettes” ;
- des élites économiques non haïtiennes, qui ne réinvestissent ni ne redistribuent les richesses accumulées. Pour eux, Haïti n'est qu'un comptoir commercial ;
- dans la première République noire du monde, la clarté de la peau est source de privilèges ;
- la politique comme voie rapide vers la richesse ;
- la corruption élevée au rang de sport national ;
- une justice orpheline de sa propre essence.


Je pourrais continuer cette liste pendant un jour entier sans l'épuiser. Je ne devrais pas être surpris qu'aujourd'hui, fuir le pays soit la seule solution. Moi-même, j'ai fui depuis le 21 décembre 2019. Mais toujours, les élites ne pensaient pas que les détonations d'armes viendraient perturber leur tranquillité, ni que ceux qui nettoyaient les vitres de leurs SUV viendraient les chasser de leurs villas perchées sur les collines.


Je ne justifie pas la terreur des gangs en Haïti aujourd'hui, mais la situation était prévisible au vu des faits cités plus haut. Elle était inévitable lorsque l'on élit un grivois personnage comme chef de l'État face à une professeure d'université. Elle était inévitable lorsque, pour consolider son pouvoir, on arme ceux à qui on n'avait jamais tendu la main. Elle était inévitable lorsque pour garantir les opérations de son 'business', on arme les anciens cireurs de ses 4X4. Elle était inévitable lorsque la diaspora dissimule des armes de guerre et des minutions dans les réfrigérateurs, les véhicules, les sacs de riz... envoyés en Haïti. Elle était inévitable quand tous ces faits sont l'œuvre exclusivement d'Haïtiens. Nous avons trop aidé les anciens colonialistes, qui ne nous ont jamais pardonné notre audace du 18 mai, du 18 novembre 1803, et de l'insolente journée du 1er janvier 1804. Il est temps que tous comprennent que la bombe est dans l'avion. La seule solution est de conjuguer nos efforts pour la désamorcer, peu importe votre place dans l'avion.

Gaspard DORELIEN, M.A.
Ottawa
19.03.24

vendredi 8 mars 2024

Pause indienne au curry


C'est nous qui avons rompu le silence des lieux avec la musique que j'écoute depuis hier soir : "Coming Home" de Diddy - Dirty Money et la voix envoûtante de Skylar Grey. C'était paisible. Mais dès l'instant où ma collègue et moi avons franchi la porte en verre, l'odeur du curry nous a enveloppés. Notre pause de ce vendredi était incarnée par ce curry, pardon, ce restaurant indien !

Alors que je m'occupais du paiement du parking, un aimable monsieur est venu m'offrir son ticket encore valable pour plus d'une heure. Nous y avons vu un signe bienveillant du destin. Notre pause déjeuner s'annonçait merveilleuse !

Nous n'avions pas prévu de laisser le hasard décider de notre menu pour notre rendez-vous désormais incontournable du vendredi. Depuis notre dernière escapade dans la cuisine marocaine, j'avais opté pour un restaurant libanais situé presque en face du CasaBlanca, dans le marché d'Ottawa, à la rue ByWard en plein coeur de la capitale fédérale. Mais cette adresse de cuisine libanaise étant en pleine rénovation, fort heureusement, à une encablure de là, un petit restaurant indien a brillamment suppléé notre choix initial manqué. Le silence était appréciable, mais le curry était sublime.

J'ai immédiatement prévenu ma collègue que j'opterais pour un plat au curry. Mais je n'avais pas réalisé que tout était imprégné de cette épice que j'affectionne tant. Son arôme était omniprésent dans le lieu, promettant une caresse gustative pour nos palais.

"Qu'est-ce que le curry ?" me demanda ma collègue, à ma grande surprise. J'avais tout simplement oublié que tout le monde n'était pas aussi passionné de cuisine que moi. On peut être un fin gourmet sans nécessairement connaître toutes les cuisines du monde.

Nous avons finalement opté pour le poulet au curry et le poulet au beurre accompagnés du légendaire riz basmati. Ma collègue a été séduite par le poulet au curry. En fait, elle avait déjà savouré cette épice, si caractéristique de la cuisine indienne; c'était simplement le nom qui lui était inconnu. Plusieurs fois, elle a exprimé son admiration pour son plat baignant dans une sauce de lait de coco au curry. 


Ce n'était pas comme au CasaBlanca, notre dernière halte, où nous avions eu l'impression de voyager à Marrakech, au Maroc, avec les sons, les visuels et les saveurs de ce pays africain. Ici, dans ce restaurant d'authentique cuisine indienne, nous étions charmés uniquement par l'arôme exquis du curry et un repas qui a grandement satisfait nos estomacs.

En partant, nous avons repéré une enseigne italienne dans les environs. Nous n'avons rien promis encore, mais il se pourrait bien que nous nous laissions tenter par la basilique et les tomates le week-end prochain !




08.03.24
19:19

Tout a changé...



Ce n’est plus le même décor. Des textures et couleurs inédites, des visages encore jamais croisés, de nouveaux arrêts... s'inscrivent désormais dans mon trajet vers le bureau. J'ai lancé ma playlist dans l'espoir de retrouver un semblant de routine. Pourtant, même la musique m'atteint différemment. L'autoroute 417 et l'avenue King Edward s'effacent de mon horizon. Je change de zone et tout se transforme autour de moi. Même mes sempiternelles émotions matinales ne sont plus les mêmes.

C'est le contexte qui altère ma perception, et non l'inverse. Me voilà immergé dans le tintamarre du centre-ville d'Ottawa, avec ses enseignes cosmopolites, ses passants pressés, ses badauds, ses marginaux, ses stridentes sirènes, et ses gratte-ciels à perte de vue. La rapidité et le silence de l'autoroute 417 me manqueront, encore et toujours.

Aujourd'hui, j'apprends à redécouvrir chaque édifice, chaque nom de rue, chaque café, chaque boutique ou hôtel dans lesquels je n'entrerai probablement jamais. Ici, je ne suis pas un touriste. J'y habite. C'est depuis peu mon chez moi aussi. J'y ai planté des rêves. Désassemblés. Transformés. Sauvés. Recréés. Je les fais grandir au rythme constant du changement.

Les rêves ne devraient être limités par aucune nationalité, aucun territoire, aucun quartier, aucune demeure. Les miens, je les conserve libres. Même si tout autour de moi a changé.

Gaspard Dorélien, MA
Ottawa
08.03.24
11:11