Reportage réalisé le 24 mars 2006
Le sanatorium de Port-au-Prince manque de tout pour être un centre hospitalier. Pourtant, on y soigne des patients atteints de maladies pulmonaires. La formule: bonne foi et amour des médecins et du personnel soignant. Petite visite dans le grand sanatorium de Port-au-Prince, à l'occasion de la journée mondiale de la tuberculose. Bienvenue dans l'incubateur de microbe de Carrefour-Feuilles!
|
Photo du sanatorium (photo: Le Nouvellsite) |
La barrière verdâtre coulissante de l'entrée de l'hôpital ne peut plus bouger. Sa base est enterrée sous un amas de saleté. Elle ouvre sur une pente escarpée qui conduit au bâtiment. Un véhicule peinera beaucoup en s'y aventurant. Arrivé au pan de l'escalier, le sol est défoncé. Difficile de traverser cette passe. Même à bord d'une ambulance. Ce n'est pas grave pour ce cas, l'hôpital n'en a pas. Pénétrer dans le bâtiment, une odeur fétide, dégageant la crudité d'une insalubrité répugnante vous accueille. Ce centre hospitalier est comme jeté aux oubliettes, rien ne marche, sinon la solidarité d'un personnel qui croit encore dans l'amour du prochain.
Toilette d'occasion
Ce vendredi 24 mars 2006, ramène la journée mondiale de la tuberculose. A l'occasion, le sanatorium de Port-au-prince, situé au voisinage du Morne L'hôpital, dans le quartier de Carrefour-Feuilles, bénéficie d'un brin de toilette. Un employé nous rapporte qu'au jour ordinaire, l'insalubrité de la cour (véritable dépotoir où gisent sachets, bouteilles en plastique... et tous leurs corollaires) et du paquet est plus terrifiante. Mais en un jour, le petit personnel préposé au nettoyage ne pouvait pas faire de miracle. C'est donc dans un hôpital crasseux, avec des murs entachés de crachat, de sang de moustiques écrasées, que la Ministre de la Santé Publique, le Dr Josette Bijou, a fait probablement son entrée ce vendredi. « Il y a des employés destinés au nettoyage, mais on ne peut pas leur demander de le faire juste avec leurs mains », nous explique une infirmière au carré de la salle des femmes de la section des tuberculeux. En effet, au cours de notre périple dans cette bâtisse, prête à s'écrouler sous la lourdeur de ses 64 années non entretenues, dans une pièce crasseuse et puant le moisi, où on devrait entreposer des matériels de nettoyage, campait un gaule avec fixé à l'extrémité le rejeton d'une serviette salle égouttant une eau sale. On devrait appeler ça « mòp ». C'est tout ce que l'hôpital disposerait pour cirer le parquet. A l'image du pays « A l'image du pays !!!... ». C'est l'unique réponse qu'une laborantine de l'hôpital a pu trouver après avoir tourné les yeux à l'envers, remuer tout son cerveau... à la question suivante : comment va le sanatorium ? Effectivement, imaginez l'état d'insalubrité des rues de Port-au-Prince, le désordre qui règne dans la gestion publique, l'absence de planification du côté des autorités de l'État dans toutes ses sphères d'activités... et même là vous n'auriez qu'une infirme idée de l'état dans lequel se trouve actuellement le plus grand centre hospitalier spécialisé dans le traitement des pathologies pulmonaires. Fondé par l'ancien Protecteur du Citoyen, le Dr Louis E. Roy, et inauguré le 3 novembre 1942, le sanatorium de Port-au-Prince est aujourd'hui l'expression de la plus tragique déchéance du pays. Pourtant, le problème de la tuberculose n'est pas une mince affaire dans le pays, puisque ce centre reçoit environ une cinquante de cas par jour. Ce nombre compte également des anciens cas mal traités qui reviennent à la charge. Les murs et poteaux du bâtiment offrent l'image de leur vieillissement. Lézardés en plus d'être tachetés de toutes sortes de saleté. Le second étage est une vraie passoire. Quand il pleut, matériels, malades, documents... tous subissent la dure loi de l'eau. N'allez pas demander à l'administrateur pourquoi son ordinateur, son imprimante et sa photocopieuse sont constamment recouverts d'un prélart. Selon un responsable, le sanatorium aurait une capacité d'accueil de 150 à 200 lits. Mais les lits, les matelas sur lesquels reposent les patients sont des couveuses de microbes dans lesquelles on devrait garder les malades. Les matelas sont défoncés, colorés de liquides suspects. Si vous souhaitez visiter les toilettes des malades, vous trouverez certainement un employé, une infirmière qui vous retiendra. Gare à vous si vous insistez et désobéissez. Bonjour puanteur, bonjour matières fécales. Au laboratoire, comme à la guerre Les laborantines de l'Hôpital, à côté des médecins, des infirmiers, sont de véritables héroïnes. Si un malade arrive à avoir les résultats d'un examen en 5 ou 6 jours (résultat qu'il devrait avoir dans l'heure qui suit son admission), ce n'est pas grâce au dispositif que le Ministère de la santé Publique a mis à leur disposition. La génératrice de 50 KW est en panne depuis octobre 2005. C'est avec le capricieux courant de ville que fonctionne le centre, alors que la majorité des examens requis (le crachat par exemple) tout suite après l'admission d'un patient nécessite l'utilisation d'un appareil électrique ou électronique. Ce vendredi, au cours de notre visite, les laborantines s'impatientaient dans l'attente de l'électricité pour continuer le travail commencé. Mais à côté du problème d'énergie, ces techniciennes manquent de tout : coton, alcool, gant, chaises, réchaud, matériels stérilisés... pour faire la hauteur de leur surface de travail, des cahiers, des piles de dossiers sont déposés sur des chaises en bois et fers forgés, inappropriés pour ce type de travail. Au laboratoire, tout le monde ne peut pas s'asseoir en même temps, mais tout le monde doit travailler. Il n'y a pas assez de chaise pour toutes les croupes. En fait le laboratoire n'a rien de laboratoire. « On ne demande pas des conditions de travail comme dans un centre hospitalier des Etats-Unis, mais si au moins on pouvait avoir l'électricité, une chaise pour s'asseoir, un espace même pour boire un peu d'eau, car on doit laisser l'hôpital pour sortir dans la rue pour trouver un peu d'eau à boire... moi je crois que le sanatorium a toujours été oublié par les différents responsables qui se sont succédé à la tête du ministère de la santé publique », se plaint une technicienne du laboratoire. Pourtant, recouverts sous des plastiques, des appareils non utilisés périssent dans la crasse du labo. « On a cet appareil stérilisateur, don du Japon, qu'on a jamais pu utiliser parce que, pour le faire, il nous faudrait de l'eau stérilisée, mais si nous autres humains n'en trouvons même pas pour boire, que dire pour les appareils », s'interroge ironiquement une autre technicienne.. Les chambres Le mobilier de l'hôpital semble être aussi vieux que les murs et les toitures branlants. Les petits buffets à côté des lits branlants sont de vrais repères de microbes. D'ailleurs les rats y prennent logement, selon ce que nous a expliqué un malade. : « A côté des moustiques qui nous font des misères, il y a les rats, certains sont aussi gros qu'un chat, et s'il nous reste un peu nourriture, soit du pain ou du riz, tous les soirs ces rats viennent moissonner et le lendemain matin on retrouve les bols vides ou ils emportent les sachets de pain ; ici n'était la solidarité du personnel soignant, on serait mort de faim », se plaint une patiente, le bras, les jambes parsemés de piqûres de moustiques. Aux fenêtres des chambres, il manque les persiennes, celles-ci pour la plupart sont remplacées par des espèces de morceaux de toile quand on ne laisse pas tout simplement l'espace vide au grand air. Les étagères en bois sur lesquelles reposent les dossiers des malades pourrissent à petit feu. A chaque contact, un jet de poussière de bois se répand. Le sanatorium avec plus de 19 millions de gourdes par année arrive très difficilement à sauver des vies. N'était-ce la subvention des médicaments par le Fonds mondial contre la tuberculose, la situation des malades auraient été encore plus tragique. Les médicaments qui guérissent contre la maladie sont les seuls éléments de l'ensemble qui accusent une certaine régularité dans le fonctionnement de l'hôpital, ajoutés à la bonne foi du personnel, dont mêmes les malades en témoignent. Si vous vous voulez avoir une idée du niveau d'irresponsabilité de l'État haïtien depuis plus de 20 ans, allez visitez le sanatorium de Port-au-Prince à Carrefour-Feuilles. On vous garantit une seule chose : vous reviendrez avec le coeur meurtri.Gaspard Dorélien
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire