dimanche 19 avril 2020

“What a wonderful world”

J’ai descendu les vitres. L’air, au dehors, par cette nuit de lundi d’avril, n’était pas très frais. Mais la vitesse de mon déplacement le rendait assez agréable. J’étais content de partager avec la rue, les notes agréables de “What a wonderful world”, la chanson mythique du grand jazzman Afro-américain, Louis Armstrong, que crachaient avec rage de plaisir les haut-parleurs enroués de mon “Apye pi mal”.
Louis Amstrong

Je n’ai pas eu un seul haussement de tête, un seul sourire, un seul pouce en l’air pour cette musique qui célèbre la beauté du monde. La musique n’a parlé à personne. Leur monde n’est sûrement pas magnifique. Car il n’y avait pas le vert des arbres, seulement la noirceur de la nuit qui n’avait rien de sacré comme l’entend le chanteur. Il n’y avait pas dans la rue de vrais amis qui se demandaient comment l’autre allait et ils ne se disaient guère qu’ils s’aimaient. Ce merveilleux de Louis Amstrong ne collait pas du tout à la réalité de cette nuit qui annonçait la pluie sur Delmas.
J’ai du éteindre la radio. Remonter les vitres. C’est peut être indécent d’écouter aussi fort, ici, une musique qui vante la beauté du monde.
Mes yeux balayaient l’autoroute de Delmas. J’ai essayé de trouver un peu de magnificence sur la route. Il y avait ces réchauds et ces marchandes de poulets barbecue après Delmas 33. Ils occupent les mêmes espaces où un camion avait broyé la vie d’environ une dizaine de mères de famille en 2012. Le maire de Delmas a beau essayer de les chasser. Mais c’était en vain. Ces Cheffes de famille sont aussi têtues que la misère qui les tenaille. Elles n’ont même pas conscience qu’elles exposent leur vie à la mort en essayant d’inventer leur survie aux abords de la route.
Plus haut, un embouteillage s’installe. Des camionnettes et des mini-bus déglingués sont mes voisins immédiats sur la route. À l’intérieur, des passagers au regard blafard sont agglutinés. Comme des sardines. Le confort dans le transport en commun n’est pas un concept qu’ils connaissent. Personne d’ailleurs ne connaît. Ni les conducteurs aux têtes blasées par les fatigues de la journée, ni les usagers de ce type de transport ne connaissent ou n’envisagent d’ajouter le mot confort dans leur réalité.
En fait, l’embouteillage est provoqué par la station d’essence de Delmas 34 qui livre encore à compte-goutte, le précieux liquide aux véhicules qui s’alignent, pêle-mêle, sur l’autoroute et dans l’ensemble de l’espace de la station. Tout le monde est impatient. L’impatience crée une indiscipline où le premier arrivé se voit doubler par le dernier arrivé. Un foutoir pas possible. Le sauve-qui-peut l’emporte sur les règles les plus élémentaires du vivre ensemble.
Je remets la musique. Mais je ne la partage plus. Je la garde pour moi seul. Les vitres sont remontées. Je savoure la voix enjôleuse de Louis Armstrong qui parle d’un monde magnifique. Il ne nous a sûrement pas vus en 2019. Sans électricité. Sans sauvegarde de l’environnement. Sans rien.
J’oublie la musique. Mes yeux et ma curiosité retournent sur la route. J’essaie d’y retrouver un peu de merveilleux. Je compte entre 8 à 10 espaces de restaurants-dansant entre Delmas 40B et Delmas 67. Sur des tables, des dizaines de bouteilles de bière et d’autres spiritueux plus alcooleux trônent comme des trophées de chasse. De jeunes serveuses appâtent les éventuels clients qui passent. Beaucoup vendent et l’alcool et leur corps. Pour survivre ici, il paraît que servir des boissons ne suffit plus. Le plus est fait de tout et surtout de chair.
Les clients sont tous les soirs dans ces espaces pour noyer dans l’alcool tous les manques et les maux de la République. Inflation. Insécurité. Incompétence des dirigeants qui accélère la descente aux enfers du pays. Incertitude du lendemain.
Je continue de chercher le magnifique du monde que chante Louis Armstrong. Je n’ai vu que des nocturnes héros et héroïnes du désespoir qui sont rangés devant la succursale d’une banque commerciale à Delmas 48. Ils vendent de tout. Mais rien du magnifique monde de Louis Amstrong. Il est peut être merveilleux notre réel. Mais n’a toujours rien de magnifique.
Delmas, 22h33 - 15-04-2019

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