L'entrée principale de l'Hôpital de l'université d'Etat d'Haïti
© Gaspard Dorélien/Fotomatik Haiti (Image d'archives)
|
Comment dire? Les mots manquent à l’appel. Pour décrire l’image, l’ambiance, ce qu’on entend, les odeurs… de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), communément appelé Hôpital général, les mots n’y peuvent rien. Absolument rien! C’est une image de fin du monde. C’est une ambiance de désespoir total. C’est des complaintes empreintes de désolation qui animent tous les espaces. C’est des odeurs pestilentielles, de pisses calcinées… Et c’est peu dire pour camper, ce mercredi de mars 2019, l’Hôpital universitaire de référence de ce pays qui compte plus de deux siècles d’indépendance.
Prise en charge par le moins qualifié
La première raison qui explique combien il est dangereux de recourir au service de l’Hueh pour des soins de santé, nous confie un médecin de service, est que le patient soit pris en charge par le moins qualifié du système. Le plus souvent, c’est un résident qui fait ses premières armes comme futur médecin, qui se charge d’un cas, sans supervision et ce cas peut dépasser ses compétences et expériences, poursuit-il. Normalement, il devrait être supervisé par un médecin de service, expérimenté, l’aidant aussi dans sa formation. Mais ce dernier est absent. Le plus souvent. Certains ne font jamais acte de présence, confie ce médecin de service. Et il n’existe aucun sytème de contrôle de présence pour cette catégorie qui est considéré comme maître et seigneur, argumente amèrement le professionnel de santé, dans la cinquantaine qui rage contre ce genre d’agissement de ses collègues. Le chef de service, la direction de l’hôpital et le ministère de la santé sont au courant, regrette-t-il. Mais rien est fait pour résoudre ce problème majeur, conclu-t-il.
Un médecin de service peut s’absenter une quinzaine de jours et même pendant un mois à l’étranger, pendant que des résidents tâtonnent et multiplient les erreurs médicales, laisse-t-il entendre. Un patient qui débarque à l’hôpital, n’est guère rassuré qu’il sera pris en charge par un professionnel qui a déjà fait l’expérience de son cas et qui sera sûr des bons gestes à poser. Et à côté de cela, une kyrielle d’autres problèmes font de l’Hueh, un espace dangereux pour venir prendre des soins, constate-t-on.
Sécurité inefficace
Des agents de sécurité, chemise crème, encolure verte et pantalon de cette même couleur, tant bien que mal, se battent contre des parents de patients, rouges de colères et impatients, à l’entrée de la grande barrière verte de la rue St Honoré, située à un jet de pierre du siège de la Présidence d’Haïti. Ils essaient de mettre de l’ordre dans ce foutoir où, mardi dernier, un médecin résident a été menacé par quelqu’un qui a sorti son arme à feu au service des urgences. Mais ce sont des efforts inefficaces. Pourquoi? On en a été témoin, ce mercredi vers les 11h. Un simple citoyen est rentré dans l’enceinte de l’hôpital, son pistolet à sa hanche, caché sous sa chemise. Les agents de sécurité n’ont rien vu. Les agents de la Police Nationale d’Haïti (Pnh) cantonnés sur place, non plus.
Quand nous autres, l’avons épinglé, il avoue, sans regret, qu’il ne pouvait pas prendre le risque de laisser son pistolet dans sa voiture, garée sans surveillance dans la rue. “Il n’y a pas de portique de sécurité à l’entrée, ni de détecteur de métaux, j’aurais laissé volontiers mon revolver à la sécurité, mais ils n’ont rien remarqué, alors je n’avais pas à me compliquer la vie en le leur proposant mon arme”, explique le concerné avec un air malicieux. Lui, il n’est entré avec aucune intention de se servir de son arme, présume-t-on. Mais un autre qui aurait des règlements de compte avec un patient-prisonnier ou un témoin gênant, entrerait, ni vu, ni connu, armé dans l’hôpital.
Bienvenue à l’Hueh!
Ambiance de fin du monde
Dès l’entrée, une odeur de pisse rôtie vous capture l’odorat. Elle vous accompagnera dans tous les espaces ouverts de cette institution hospitalière. Dans un rigole où stagne une eau sale et blanchâtre, jouxtant un trou d’égout, rempli d’ordures suspects, avec un grillage complètement rouillé, un contenant de vaccin y traine. Au médecin de service qui nous sert de guide, on fait la remarque de la dangerosité d’un tel contenant dans les parages. Sans étonnement, mais avec un sarcasme indicible dans la voix, il explique que nous visitons l’hôpital un jour où la cour est propre. Motus. Bouche cousue. Les mauvaises habitudes ont la vie dure ici, a-t-on compris.
On entre au service d’urgence. Des résidents discutent entre eux au carré d’accueil. À droite, des malades sur des lits disparates, déglingués avec des matelas dénudés et aux apparences douteuses, sont allongés, presque nus. Une atmosphère qui témoigne du dénuement, de la négligence et du désespoir de l’espace. La dignité des patients ne figure pas dans l’agenda de cet hôpital, constate-t-on. Ils sont torses nues, blêmes et un désespoir indescriptible et insoutenable flotte dans l’air.
L’odeur des environs n’est pas des plus agréables. Mais tout le monde s’y est habitué. Il n’y a pas de nez pincé avec les doigts, ni de mains qui cachent les odorats. On exhale, comme un fait normal, cette effluve aux senteurs de rats morts infectes, de sang coagulé, de défection constipée, de pisse desséchée… Cette odeur de la fin. De la fin du monde.
Il n’y a rien qui montre que ces patients sont dans un espace de soin de santé. Les lits sont disloqués, sales, en proie aux rouilles. Les surfaces des matelas sont fissurées, jaunies… Ce sont, en vrai, des porte-microbes qu’il faudrait carrément évitées. Sinon, seuls signes apparents d’un centre hospitalier sont les quelques solitaires pieux où sont suspendus des solutés rattachés aux poignets de patients, dont leurs regards vitreux et vides ne présagent rien de bon.
Dans les couloirs, de part et d’autre, le sol est maculé de tâches de sang. Tantôt fraiches. Tantôt sèches. À la sortie qui débouche sur la médecine interne, loin de tout regard du personnel médical, une dame dans la quarantaine, au téléphone, convainc l’autre au bout du fil que Dieu est grand et bon, qu’il est capable de grands miracles. À côté d’elle, un vieillard, qui doit être son malade, les yeux tournés à l’envers, est allongé sur le dos sur un lit démantibulé, un soluté relié à son bras droit par un tube transparent.
Le médecin de service qui nous fait faire le tour, béni le ciel. “Le médecin de service de la section qu’on traverse est là”, en montrant du regard un monsieur, dans la cinquantaine, assis derrière son bureau et affairé à éplucher des feuilles blanches, un homme blousé, stéthoscope au coup. “Les malades qui viendront au service d’urgence avec des pathologies “sauvables”, seront surs d’être pris en charge par quelqu’un d’expérimenté. Ce qui n’est pas le cas, souligne-t-il, pour tous les services et surtout durant les heures tardives de la nuit.
Plus loin, dans un autre service de cet hôpital, on va apprendre l’invraisemblable, l’impensable…
Traumatisant service d’orthopédie
Un long couloir crasseux à peine éclairé par des tôles en rouge et vert transparents, qui est en face de l’urgence, conduit au service d’orthopédie. Des pans de murs lézardés se battent contre les peintures vertes et blanches qui sont entachés de saletés. Le sol, le plafond et tout l’espace ne préfigurent guère à ce à quoi l’endroit est destiné. C’est crasseux, déprimant, très mal éclairé et malodorant. Un exemple concret de la faillite et du système de santé dans la capitale haïtienne.
Une entrée avec deux portes grandes ouvertes, dont la vitre de celle de droite, cassée, est remplacée par une feuille en plastique transparente, maladroitement retenue par des bandes de scotch sur qui toute la saleté de l’environnement se repose. Sans indication aucune, c’est cette entrée qui s’ouvre sur la partie dédiée aux traumatologies des enfants, nous informera un résident. On le devine aussi parce que cinq lits en forme de berceau, avec des matelas très sales, occupent la partie gauche de la salle, au plafond défoncé et faiblement éclairée par des néons pleins de crasses. À droite de la salle, on retrouve des lits, mais pour adultes. Toujours dans de piteux états, dont certains sont soutenus par des morceaux de bloc. Ils sont surmontés de matelas où doivent trainer tous les microbes du monde. Une image désolante, déshumanisante indigne du courageux peuple haïtien, reconnait un résident.
Le Docteur Philippes Desmangles présent, médecin de service à la section d’orthopédie et professeur à la Faculté de Médecine de l’Université d’État d’Haïti (Ueh), est scandalisé par un cas. Il a du annuler un examen qu’il devait donner à des étudiants pour prendre en main une patiente gravement amochée.
Au milieu des lits d’adultes, dans cette salle réservée aux enfants, se trouve une dame de 39 ans, mais qui fait beaucoup plus que ça. Elle est allongée sur le dos, sur un morceau de tissus bleu, terni de sang desséché et qui ne recouvre pas tout le matelas. Sur le tissus, on reconnait, mais difficilement, des vaisseaux spatiaux de dessins animés. Elle est toute nue, ses seins sont à l’air et le sexe recouvert par un drap rouge foncé. Ses yeux écarquillés sont projetés vers le plafond sans vraiment rien fixer. Sa bouche entrouverte laisse sortir deux rangées de dents qui dépassent les lèvres. Elle est comme dans le comas. Elle ne bouge pas. Mais sur ce visage que la fatigue et la souffrance se disputent, une douleur atroce s’y lit. Il fait fait pitié.
Le choc du Dr Desmangles est du au fait que cette dame qui a eu un accident sur une moto depuis samedi et qui a été admise à l’hôpital depuis lors, n’a jamais eu de pansement. On est mercredi. Et, rage-t-il, “j’étais de service lundi dernier, jamais ce cas ne m’a été rapporté. C’est à ce moment qu’on découvre, sous la couverture, un pied. Cassé. Pas déjointé. Mais cassé. Au sens propre du mot. Le pied de la dame, au regard cadavérique, est tourné à l’envers et est collé au reste de la jambe par une mince bande de peau du côté droit. Le sens opposé est complètement ouvert. Une image rocambolesque pour les non-initiés à la médecine. L’os du fémur, sectionné, est entouré d’une chair à la fois blanchâtre et jaunâtre. On devine que c’est dû à une infection qui progresse. On n’ose même pas imaginer le niveau de souffrance de la patiente. “Elle a passé tout le temps depuis qu’elle est ici, à hurler de douleur, maintenant, elle n’a même plus le courage de crier son affliction”, explique, toute désolée, celle qui dit être la soeur de l’accidentée. Et dans le regard absent de la patiente, on lit tout le poids d’une souffrance indicible.
Le médecin de service qui n’a toujours pas de réponse à son interrogation, met en branle tout le service. Il se met en quatre. Il fait des va et vient et revient à chaque fois avec du matériel sur le bras. En un tour de rein, avec ce qu’il faut, la jambe est pansée. Le diagnostique est amère et évident. Il faudra l’amputer conclu le Dr Desmangles avec le résident qui s’était chargé du bandage.
C’est encore le Dr Desmangles, comme un diable dans un bénitier, qui a été dans un entrepôt, réquisitionné les médicaments et le matériels pour l’amputation. Mais personne ne sait où peut bien se trouver le plateau, généralement, utilisé pour l’amputation. Il ordonne énergiquement à deux résidents de le retrouver.
Si vous lui demandez pourquoi cette dame avec une blessure n’a pas été prise en charge depuis son admission, il vous exposera, avec force de détails, comment l’inefficacité et le “manfoubinisme” des responsables de service, des responsables de l’hôpital et du système de santé haïtien ne travaillent pas pour offrir le minimum à la population pauvre qui ne peut se payer des services coûteux dans les hôpitaux privés. Ici, les urgences auxquelles on ne répond même pas efficacement, regrette-t-il, déshumanise tout le personnel de l’hôpital qui n’a plus le temps de penser à la dignité des malades.
On vient récupérer la future amputée pour l’emmener au bloc opératoire. Au passage, le Dr Desmangles essaie de recouvrir les seins de la patiente avec la serviette verte fluorescent qui recouvre son bassin. Il abandonne tout de suite. “Si je lui offre cette dignité pour ses seins, elle perdra celle de sa partie génitale”, maugrée-t-il. Il n’a qu’une satisfaction pour cette demi journée, c’est d’avoir aidé cette dame à trouver les soins que nécessitait son cas, bien que tardivement, reconnait-il.
Mais, avec tristesse, le Dr Desmangles admettra qu’il est dangereux, de venir prendre des soins à l’HUEH. Un autre résident soulignera que ceci est, entre autre, le résultat des seulement 4% du budget national qui sont réservés à la santé de la population. Quand on sait que, le “très peu productif parlement” et “l’inefficace exécutif”, pour reprendre les qualificatifs associés à ces deux pouvoirs, à eux seuls engrangent de très juteuse part du budget qui représente plus que le quadruple de celui de la santé, ajouté à l’inertie des responsables de santé, il n’est pas étonnant que l’HUEH soit aussi dénudé.
Gaspard Dorélien, MA
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerJe n’ai pas trouvé d’expression autre que «complet » pour qualifier un tel rapport de visite. A bien saisir chaque détail on doit se demander combien de passages ont dû être effectués pour nous délivrer un aussi riche état des lieux, sur une infrastructure aussi appauvrie sur l’essentiel. A-t-on vu le contraste? En photographie, les diplômés de Photomatix auraient probablement déployé tout l’attirail du métier et optimisé tous les réglages de leur gadget, pour aboutir à des saisies en rafale, zooming, panoramique avec éclairage bien dosé et dans le bon timing, pour nous livrer un cliché aussi vivant et exhaustif, d’un seul déclic.
RépondreSupprimerEn un mot Gaspard, chapeau! Tous mes remerciements pour cette édifiante visite guidée à travers ce papier. Ton travail aura fait œuvre d’utilité publique en parvenant ainsi à sensibiliser toute une communauté, chez nous, chacun en ce qui le concerne, sur ce point focal, touchant à un besoin aussi basique.
Précision importante! PHOTOMATIK!
RépondreSupprimerCher Gaspard, merci pour ce reportage. Je tiens toutefois à te signaler que tous les services de l’HUEH ne sont pas pareils. Tu devrais visiter le service de l’ORL, localisé de l’autre côté de la rue dans l’ancien hôpital militaire. Ça vaut le coup d’oeil.
RépondreSupprimer