samedi 20 avril 2019

Dans la splendeur d’un après-midi de vendredi saint

Deux poissons entiers sur la grille de Chez André

Le ciel à Delmas était gris et lourd. Chargé assez pour me décourager de prendre la route. Heureusement que je suis un entêté. À partir de Léogâne, le firmament portait sa belle enveloppe bleue. Le soleil de 14h souriait de mille feux. Enfin, je suis content de ce vendredi saint. Je vais à Grand-Goâve. Juste pour ce poisson boucané au bord de cette plage que je n’aime pas.




La vue d ela plage en face de la grille d'André
J’ai du temps. Beaucoup de temps. J’ai lu du Dan Brown pendant toute la première moitié de la journée. Da Vinci Code. Au fait, je ne devrais même pas. Je suis arrivé à la partie où l’auteur expose la théorie du Saint Graal. Lecture non recommandée à un croyant un Vendredi saint. Le jour supposé être la commémoration de la mort du Christ, je n’aurais pas dû lire ce livre. Comprendront ceux-là qui auront déjà lu ce chef-d’œuvre de l’auteur américain à succès. Je me suis quand même réjoui de ma lecture. Mais l’ennui est venu squatter mon esprit. Pour de bon! Je n’avais pas envie de regarder les films sur la vie de Jésus. Je connais les répliques par cœur, pour les avoir tous regardés durant toute ma vie. Mais j’avais envie de vitesse. De rouler à toute allure sur des routes non embouteillées. Envie de voir des arbres qui semblent faire la course contre moi derrière les vitres de la voiture. J’avais envie de prendre des photos de la nature sauvage. Mais j’avais surtout envie de manger ce poisson boucané à l’entrée de Grand-Goâve, dont seul André avait le secret. Tenue de plage, lunettes de soleil, j’ai pris la route.

Routes vidées

Les gens doivent être terrés chez eux par ce Vendredi Saint. Sur l’autoroute de Delmas, de très rares camionnettes et mini-autobus traînent. Les usagers jouent aux abonnés absents. En un clin d’œil, je dévale toute la route. Un pur bonheur pour moi, conducteur dans cette commune. Je passe par Delmas 18. Arrivé à la Rue Montalais, un groupe de policier encagoulés m’arrêtent. Je subis une inspection en règle. C’est quand-même une présence qui rassure. Dans l’air du Champ-de-Mars, en passant par la rue Pavée, la circulation est comme à Delmas. Fluide. Cependant, sur la prochaine artère, il ne manquait pas que les véhicules.

Grand’Rue sans ses dames aux jupes ultra-courtes

Grand’Rue n’est plus ce qu’elle a été dans le temps. Je n’ai pas eu à me demander, comme je le faisais quand j’étais petit, pourquoi presque toutes les dames que je voyais sous les galeries de ce Boulevard qui porte le nom de l'Empereur Dessalines, avaient la peau claire et surtout pourquoi elles portaient ces mini-jupes qui laissaient voir autant leurs jambes et des corsages qui ne cachaient pas la naissance des seins? Aujourd’hui, vendredi saint, elles ne sont plus là.  Mais je ne pense pas que leur absence soit due à la sainteté de ce vendredi. J’ai l’impression que le séisme du 12 janvier 2010 qui a emporté les hautes galeries, les a forcées à quitter les lieux. 
Quand je ne tombais pas sur des bâtiments disloqués, des piles d’ordures ornaient les bordures de la très grande rue. J’ai eu beaucoup de peine à reconnaitre l’emplacement de la mythique Ciné Lido. Elle est défigurée, la Grand’Rue. Une image difficile à supporter pour les plus de 30 ans. Et jusqu’au Portail de Léogâne, la vue est insoutenable.

Au Portail

Portail. Les riverains de Carrefour n’ont pas été en ville aujourd’hui. Du moins pas en grand nombre. C’est invraisemblable, mais la ligne d’autobus aux apparences disparates attend désespérément des passagers dans la lisière de la banque commerciale, assez brave pour se planter dans ce carrefour où tout est possible. Au Portail de Léogâne. Le trafic, à ce point est assez dense. Juste parce que la discipline, la courtoisie ne sont pas inscrites dans les règles de la circulation. Surtout à ce portail.

Aux alentours du Bois de chêne, non loin du Théâtre national, un pick-up et un fourgon blindé noir du corps de la police spécialisée pour le maintien de l’ordre, UDMO, sont stationnés du côté gauche. Des agents encore encagoulés, lourdement armés, font le guet. Ils sont impressionnants dans leurs uniformes à l’allure du treillis militaire aux couleurs crème et marron pale. Ils ne font surement pas peur aux maîtres des Cités d’en face. Celle de L’Éternel et celle de Dieu. On y va très vite. Car la circulation est très aisée.

Fluidité

C’est presque tout seul que je traverse cette partie de l’Avenue Harry Truman, à partir du Théâtre national, jusqu’à Martissant.https://lenouvelliste.com/article/192091/des-gangs-font-a-nouveau-la-loi-a-martissant-et-ses-environs

En un clin d’oeil, je longe les 3 kilomètres séparant Martissant à l’entrée de la Route des Rails. Je constate, au passage, que le marché de poisson de Fontamara est clairsemé. Aujourd’hui c’est le bon moment pour une agréable ballade sur la Nationale numéro 2, me dis-je, content de la fluidité de la circulation sur ce tronçon de route tristement célèbre pour ses interminables bouchons. Le temps de penser au poisson grillé, pimenté et fumant qui m’attend, je me retrouve à Duffort. Là, je me dis que le retour ne sera pas aussi fluide que l’allée. La finalisation de la construction de stands au bord de la route annonce les couleurs pour plus tard. Il y aura des festivités dans cette zone ce soir, pensai-je. 

Je passe le carrefour Dufour en trombe, en me promettant qu’au retour je m’arrêterai pour m’acheter ces mangues Francique dont les couleurs jaune et orange annoncent tout. Elles doivent être juteuses. Sur une distance de moins de cent mètres, je croise, avec horreur et tristesse, trois gros camions. Tous surchargés de sacs de charbons de bois. Je m’interrogeais sur leur provenance, quand mes yeux lurent sur le rebord gauche du dernier camion “Fonds-des nègres”. C’est la plus désolante image depuis mon départ. Tout le reste ne sera que des peccadilles. 

Des filets de poisson sur la grille de Chez André


Oups! Dos d’âne!

Je devine sur l’asphalte les tracées des signalisations horizontales. Le temps a eu raison de ces lignes jaunes phosphorescentes. Il ne reste presque plus de panneaux verticaux non plus. Ceux qui doivent annoncer les limitations de vitesse sont carrément absents. À moins de 100 mètres du Carrefour Fauché je retrouve enfin un panneau qui indique qu’on peut rouler jusqu’à 80 km/h. Je reprends de la vitesse. J’arrive à l’entrée du pont. Oups! Dos d’âne. Trop tard! Comme dans une course d’obstacle ratée, le véhicule traverse sans ménagement le dos d’âne. Les amortisseurs de choque doivent me maudire. A la sortie du pont qui traverse un lit de rivière où coule un filet d’eau sale, je tombe sur un autre obstacle. Encore un dos d’âne! Il n’a pas été annoncé. Je le rate à nouveau. Pas les amortisseurs en tout cas qui vont en payer les frais. Et tout de suite après, un panneau m’annonce qu’il y a un dos d’âne devant. Devinez quoi? il n’y a jamais eu de dos d’âne. Jusqu’à Grand-Goâve. Cela doit être une innovation dans la signalisation ici. Un panneau qui vous dit que “vous venez de passer sur un dos d’âne, si vous l’avez raté, Oups! tant pis pour vos amortisseurs!”
Je traverse un Grand-Goâve presque fantôme. Il y a peu de gens sur la partie de la route nationale qui passe par cette ville. Je n’ai pas le temps d’y penser. Le poisson m’appelle.

Entrée ratée

Ma dernière visite chez André, le spécialiste en poisson boucané, remonte au mois de juillet 2018. Ce vendredi saint, c’est la sixième fois que je m’y rends. Je rate l’entrée. J’ai bien vu l’enseigne Vorbes et Fils qui me sert toujours de point de repère. Mais je continue jusqu’au morne Tapion. Là je confirme que j’ai effectivement loupé l’entrée. Je fais demi-tour. Personne ne me lancera que je suis nul en orientation. C’est l’avantage de partir en aventure seul. L’accès qui conduit sur la plage où se trouve André est bien avant le morne Tapion qui débouche sur Petit-Goâve. Il est indiqué plusieurs enseignes de plages, dont Fraîcheur…
Photo panoramique montrant la plage et des clients de Chez André

J’arrive sur la plage. J’ai maintenant la certitude que nous autres Haïtiens ne sortons pas le Vendredi Saint. Cet espace qui est toujours rempli de monde est quasi désert. 

Je suis le dernier client qui place une commande. André n’a plus de poisson. Il n’est pas encore 15h et il a déjà presque tout vendu. Après une vingtaine de minutes d’attente, je reçois mes deux plats. Je devais manger le premier sur place et ramener l’autre chez moi. J’ai mangé les deux. Sur place. Vous auriez fait pareil. Le poisson est frais. C’est mariné à point. Le piment est à point. Tout est à point. Tout est bon. Faire tout le parcours de Delmas à Grand-Goâve pour ce poisson a valu la peine. Le seul inconvénient, deux plats de poisson descendus en moins de demi-heure, ça ne donne pas l’énergie pour refaire la cinquante de kilomètres pour rentrer chez moi. Je ne sais pas ce que j’aurais donné pour un lit.

Gaspard Dorélien, MA


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