À 21h, ce dimanche de Pâques, mon palais avait envie de poisson boucané. Mais en restant à Delmas. Au final, ce sont 15 kibby bien croustillant qui ont rempli ma panse à Pétion-Ville, pendant que mes oreilles se faisaient agressées par une voix de “ferblantier”. Le film de l’agression.
Les 15 kibby avec le citron et la "pikliz" de choux |
67 kilomètres parcourus pour manger du poisson boucané de Chez André à Grand Goave, le vendredi Saint. 14 kilomètres, le Samedi Saint, pour le griot à Fort Jacques. Le dimanche des Pâques, j’avais décidé de rester chez moi. Je pensais pouvoir me contenter du coq-pays tout cuit que mon père m’avait envoyé. C’était sous-estimé mon estomac. À 21h, j’avais une ingrate envie de poisson. Boucané. Mais j’ai du me rendre à l’évidence. Du poisson grillé, un dimanche des Pâques, à Delmas, ce n’était pas évident. Je me disais que des ailes de poulet devraient pouvoir faire l’affaire.
Déception
Je voulais tester ce nouveau restaurant, ouvert, il y moins environ un mois, entre l’église Altagrâce et Delmas 48. Vous n’aurez pas plus de précision. Il n’y a pas d’enseigne au dehors. C’est une fois à l’intérieur que j’ai vu que c’était une enseigne que je connais bien. Le principal proprio est un chef bien connu en Haïti.
Le cadre est agréable. Décor simple. Equipement de cuisine industriel. Flambant neuf. Une vraie maison de chef. Tout me paraissait parfait pour soulager, comme il fallait, mon estomac. Le serveur m’apporte le menu. La bière Prestige est à 165 gourdes. Les 6 chicken wings, à 800 gourdes. Mais pour cette faim, il me faudrait au moins le double. Quelqu’un que je connais, m’aurais demandé de foutre le camp. Sur le champ. Mais, j’étais seul, j’ai décidé de rester. Pour satisfaire ma curiosité de gourmand exigeant.
J’ai commandé une bière. Comme je ne prends pas d’alcool sans mes sempiternelles olives vertes. J’ai demandé au serveur de m’en apporter. Il hésite. Il va demander au deux cuistos debout derrière le comptoir qui sépare la salle de la cuisine. J’ai lu sur les lèvres de la femme-chef “si ce n’est pas au menu, c’est qu’il n’y en a pas”, tonne-t-elle au serveur. J’écarquille les yeux. Si un chef dit de telle sottise, il ne doit pas connaître son métier, me dis-je. Le patient serveur retourne bredouille à ma table pour m’informer sur ce que j’avais déjà deviné. Je me rends jusqu’au comptoir pour mieux me faire comprendre. Elle me répète la même chose qu’elle avait lâché au serveur, quelque secondes plus tôt. Je lui explique, non content, mais avec patience, que les olives vertes que j’ai demandées ne constituaient pas un plat, donc il était évident qu’elles ne seraient pas au menu. Alors elle me claqua au visage qu’il n’y en avait pas. L’autre chef, avec un créole lourd et moins patient, me répète qu’il y avait pas d’olives, comme pour me dire que je commençais à les emmerder avec mon histoire d’olives vertes. Je lui explique alors, aux prix où sont ses plats et cocktails, il ne peut ne pas avoir d’olives. C’est un standard des restaurants qui se prétendent bons, me dis-je intérieurement. Enervé, je devine, il se déplace et me laisse seul avec l’autre femme-chef qui me balance encore une fois que le restaurant n’avait pas toutes les choses qu’il fallait et que la proprio pense que la succursale de Delmas n’en avait pas besoin. “Les pauvres ne prennent pas d’olives avec leur alcool”, pensai-je. C’est décidé, c’est ailleurs que je vais manger. Je connais un endroit à Pétion-Ville, pensai-je.
Vive le restaurant de Chez untel
Tout de suite, ma mémoire gourmande m’a rappelé qu’il y a Pétion-Ville ce restaurant, qui fait de très bons kibby et où on peut manger même à 3h du matin. Je prends quand même la bière à 165 gourdes au restaurant à Delma. Elle était bien fraîche, mais sans les olives avec un morceau de citron vert. Ne me demandez pas pourquoi, je fais ça depuis 2007.
Je passe par Musseau pour monter en trombe par la route de Bourdon. Bien entendu, les routes sont désertes. Les gens sont restés chez eux pour digérer les grosses portions de dinde avalées à l’occasion des Pâques. Ou d’autres ont comme moi l’estomac dans les talons, mais sont cloués à la maison. Pas moi.
J’arrive devant le restaurant. Avec beaucoup de bienveillance, un jeune homme paré d’une chaîne à gros maillons, faite d’un métal que je n’arrive pas à identifier, me trouve une place exactement au parking du restaurant. Je n’aurai pas à bloquer 3 mètres de trottoir.
À peine rentrer, j’entends et vois une guitare et une dame au micro. Je fais la moue. Je n’ai pas envie de me faire taxer un “cover charge” pour des musiques que je ne vais pas aimer et que je n’avais pas demander. Je rentre quand même. Je me rensigne. Il n’y a pas de charge pour la musique. Elle est gratuite. Tant mieux.
Ici, les kibby sont les meilleurs de la ville. Je pèse et pense mes mots. Dans ce restaurant on fait les meilleurs kiby. Pour avoir arpenté presque tous les espaces où on en fait, je le confirme. Je ne pense pas que même les riches héritiers Arabes, devenus Haïtiens, les cuisinent aussi bien. Le Kibby est les seul plat qu’à partagé avec nous les Arabes depuis leur installation en Haïti vers les années 1880. Ils constituent la communauté la plus endogame connu. Ils se lient entre eux. Ils ne marient pas leurs progénitures avec les Haïtiens et même leur cuisine nous est étranger. En tout cas, je dis un grand merci pour cette manne, le kibby. J’adore. Jusqu’au début des années 2000, je pensais que c’était un plat typiquement haïtien. Pourtant, il est Arabe.
15 kibby svp!
C’est au comptoir du bar, comme d’habitude, que je prends place. Je commence par une bière bien fraîche dans un verre givré avec deux morceaux de citron vert. J’avais retrouvé des olives vertes dans la voiture. Les restes du pique-nique du samedi saint.
Je voulais commander 10 kibby. Mais je ne voulais pas prendre de risque. Je dois avoir le ventre rempli. J’en commande 15. Je prends le temps d’expliquer à la très gentille serveuse qu’il me les fallait avec du citron découpé en tranche et de la “pikliz”. Je lui ai expressément fait comprendre que s’il manquait l’un ou l’autre, je ne prendrais plus les kibby. En sirotant ma bière, mon esprit est revenu à la musique qui se jouait. La chanteuse, je le saurai plus tard, vacillait. La guitare exécutait adroitement les notes d’une musique que j’avais déjà entendu. Mais je n’arrivais pas à l’identifier. Entre temps, mes yeux étaient rivés sur le petit bout de femme qui faisait tout en bougeant, en se trémoussant le corps, sauf danser.
Vacillement
La cantatrice, haute comme 3 pommes empilées, bon d’accord, n’exagérons pas. Elle est haute comme 4 pommes. Je déteste décrire les gens qui ont un physique désavantageux. En plus, elle vacillait. Dans sa tête elle pensait danser. Ses mouvements de retour vers la gauche n’étaient jamais réguliers. Ceux vers la droite non plus. En fait, son corps ne suivait pas du tout la musique. Quand la guitare trainait, elle allait vite. Elle faisait le contraire quand la musique surchauffait. Mais je ne la voyais que de dos. La musique aussi, projetée en avant, m’arrivait comme en échos. La danseuse avait un vrai corps menu qui n’était pas fait pour bouger sur une scène. Elle était comme certains blancs qui, dans les clubs, semblent être sourds et font des mouvements qui ne vont absolument pas avec la musique diffusée.
Je me disais que c’était tant mieux que la jeune dame ne faisait que de la figuration sur la scène. Si elle dansait aussi mal, elle ne devrait peut être pas avoir une voix agréable à écouter.
Je lis du Dan Brwon pour attendre ma quinzaine de kibby. Da Vinci Code. Je suis au chapitre où parle du Saint Graal. Les doigts du guitariste continuait d’égrainer les cordes de l’instrument. Il n’y avait toujours pas de voix.
On m’apporte mon plat. Comme je l’aime. Du citron et beaucoup de “pikliz” de choux. Je prends la première boule ovale faite de viande moulue et de blé. Pur bonheur quand mes dents pénétraient la croustillante pointe du kibby. J’arrose le reste avec du jus de citron et le recouvre d’un chapeau de “pikliz”.
Voix de ferblantier
À la deuxième bouchée, elle tonna : “Détourner des rivières, porter des poids; traverser des mers, je saurais faire; défier des machines, narguer des lois…”
J’arrivais toujours pas à reconnaitre la superbe chanson mélancolique de Céline Dion que j’adorais tellement à la fin des années 90. C’est quand elle arrive au refrain :”Je sais les hivers, je sais le froid, mais la vie sans toi, je sais pas” que j’identifie la chnason tube de l’artiste québécoise. Sa voix n’avait pas le tonus pour cette chanson. C’était comme une assiette en aluminium léger et de mauvaise qualité qu’on battait bêtement avec une fourchette. Une véritable voix de ferblantier. Un son incongru. Une offense à la jolie voix de Céline. Une violente agression à mes oreilles mélomane. Je mange rapidement. Il fallait que j’arrête le massacre de mes oreilles. Il fallait que je laisse l’espace au plus vite. Au huitième kibby, c’est le guitariste qui charriait maintenant la voix et la superbe composition de Beethova Obas: Si.
La tête des mornes étaient encore plus chauve et on oubliait encore davantage après avoir appris et on marchait sur plus d’ordures… Tout ce que Beethova dénonçait dans sa chanson prenait davantage d’ampleur dans la voix du chanteur qui pétrifiait mes oreilles. C’en était trop, me dis-je. Je demande à la serveuse de m’emballer les 5 kibby qui restaient. Aussi vite fait. Je règle la note. Je me lève de mon tabouret.
Je m’apprêtais à sortir quand maintenant je me retrouvais en face des deux artistes. Tout change. C’est comme si je me retrouvais dans un autre monde. La voix que j’écoutais n’était plus une agression à mes tympans. La danseuse-chanteuse interprétait Yanvalou. Texte de Jean Claude Martineau que Renette Désir interprète avec brio et maestria. C’est là que je me rends compte que c’est ma position par rapport au haut parleur qui me faisait recevoir le son aussi mal. J’étais derrière eux et le son était dirigé vers l’avant. Devant, la chanteuse avait la bonne note, la bonne mesure et Renette Désir serait fière d’assister à cette bonne interprétation de sa chanson. J’étais méchant d’avoir dit, dans ma tête seulement, qu’elle avait une voix de ferblantier. De l’autoflagellation à haute voltige. Je m’en voulais. Mais pour me donner bonne conscience, je me dis, que mes yeux ne s’était pas trompé. Elle dansait mal. Très mal. Si elle sait chanter, elle n’a cependant pas le rythme pour danser. Et elle n’a tout simplement le physique de l’emploi.
Gaspard Dorélien, MA
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire