vendredi 26 avril 2013

Le Commandant !


Wilbert Augustin, le Commandant!
(Photo d'archives 2006, Gaspard Dorélien)

Contrairement à ceux qui portent en général ce titre,  c’est un homme optimiste, souriant et courtois. Il est l’ami de tous les clients de Big Star Market, ce très achalandé super marché sis à l’angle des rues Lamarre et Chavannes, à Pétion-ville. A 50 ans, Wilbert Augustin, peut se vanter d’être au service de sa communauté. Métier : agent de la circulation. Horaire de travail : 12 heures par jour. Une histoire vieille de 22 ans. L’homme obéit à sa propre discipline. Pas étonnant que tout le monde l’appelle commandant !


Lorsqu’on le voit de loin, celui que tout le monde surnomme le Commandant, projette l’image d’un vrai agent de la Police Nationale d’Haïti (PNH). Trapu, le visage bien rasé, la mine sérieuse, Wilbert s’exécute dans la rue avec une dextérité qui ne manque jamais d’attirer l’attention des passants et des conducteurs d’autos. N’étaient-ce les gants blancs, sa cravate noire et sa démarche trop cadencée, ce personnage, qui arbore la réplique presque identique de l’uniformede la PNH, passerait aisément pour un agent de l’ordre.

Sifflet au bec, casquette bleue avec les armoiries dorées (cadeau d’un vrai officier), chemise blanche à manches longues, pantalon bleu marine avec les rayures jaunes traditionnelles, cet autoproclamé « policier universel » assure l’ordre dans la circulation automobile au carrefour des rues Lamarre et Chavannes. «Mieux qu’aurait pu le faire un vrai agent de police », de l’avis de ceux qui fréquentent le secteur.

                                                                          Une passion   
De vrais policiers à moto admirant le Commandant


























































Depuis près de trois décennies, Wilbert Augustin dénoue les embouteillages dans les rues de Port-au-Prince. Plus qu’un métier, assurer l’ordre dans la circulation automobile est une véritable passion pour lui. Une passion qui, tant bien que mal, lui permet d’assurer l’éducation de ses sept enfants.

L’aventure commence au carrefour de Musseau, à Delmas 60. C’est là qu’il démarre son activité. Il délaissera ce lieu quelques années plus tard, pour desservir la population de Christ-Roi. Il occupera le carrefour Christ-Roi, puis l’entrée de chez les sœurs de Sainte Rose de Lima, à Lalue. Mais depuis 8 ans, Wilbert offre ses gracieux services aux usagers de la zone de Pétion-Ville. En fonction de quoi, il choisit les zones ?

Quand tout a commencé…  

Wilbert est né à Camp-Perrin, une chatoyante localité située à moins d’une heure de la troisième ville Haïti, les Cayes, dans le Département du Sud. Il a fait une partie de ses études secondaires chez les Frères, à Mazenode. Il quittera cette école, l’une des meilleures de la République, et débarque dans la capitale en 1976. Apres la troisième secondaire à Port-au-Prince, il passe un an au garage de Bois-Verna. Cependant, Wilbert n’a jamais travaillé comme mécanicien. Pas même une seule fois dans sa vie. Mais le contact avec les véhicules motorisés est une occupation indispensable à son équilibre. C’est chez lui comme un appel. « Une mission », confie-t-il.

(Photo d'archives, Gaspard Dorélien)

Cet appel, il l’a reçu par une belle journée ensoleillée de mai 1985. Il descendait en ville quand soudain, arrivé au carrefour de Musseau sur la route de Bourdon, il remarqua un embouteillage monstre. N’écoutant que son instinct, il descend de la camionnette et s’installe au milieu du carrefour. En un rien de temps, la voie est libre. Cet « exploit» lui a valu beaucoup de remerciements et d’encouragements de la part des conducteurs. Fier de sa bonne action, Wilbert retourne le lendemain sur les lieux. Il y passera plus de trois mois. Tous les jours, aux heures des grands bouchons, on le remarque au milieu de ce carrefour aidant les automobilistes à supporter le stress du trafic urbain. Pour son dévouement, il reçoit beaucoup de support moral et des mots d’encouragement. Il puise sa motivation auprès de la population environnante. Et sa passion augmente.

Continuer malgré tout

Il ne reçoit rien pour son travail. Il continue pourtant. Il laissera le carrefour de Musseau pour aller prêter ses services dans une zone plus embouteillées : le carrefour de Nazon/Christ-Roi, sur l’avenue John Brown. Cinq longues années passeront. Et Wilbert, religieusement, se retrouvera à la même place, débarrassant cette zone du constant embouteillage. Et pendant ces cinq années, pas une seule fois, il n’aura reçu un sou de quelqu’un. Mais sa joie de servir sa communauté, sa courtoisie, sa ponctualité sont demeurées constantes. Ne vivant pas de son occupation, Wilbert doit sa survie à cette époque, à la générosité de ses deux sœurs qui vivent à l’étranger. 

Quand arrive la récompense
 
(Photo d'archives 2006, Gaspard Dorélien)

Mais les choses ont commencé à changer quelque peu pour le Commandant. Témoin de son dévouement, le service de la circulation, pour l’encourager, lui offre tous les mois la somme de cinq cent gourdes (500 gdes). Plus tard, le quartier général des Forces Armées d’Haïti (FAd’H) lui offre le double. Ce geste d’encouragement, loin de l’aider à subvenir à tous ses besoins, représente beaucoup plus à ses yeux. C’est pour lui plus un signe de reconnaissance de ses services qu’une paie. Là encore, ces marques d’encouragements sont pour lui un leitmotiv qui permet de donner davantage à sa communauté. Cependant, depuis le démantèlement des FAd’H en 1994, il ne recevra plus ce support financier qui a quand même représenté quelque chose dans la vie du Commandant. Il ne s’arrête pas pour autant. Il continue sa noble tâche.

Mais il change de zone par la suite. Pour un endroit où l’on a encore plus besoin de lui : l’entrée de l’école Sainte Rose de Lima, à l’avenue John Brown.

Tous les matins entre midi et 4 heures, un embouteillage magistral se crée devant cette institution huppée, où une grosse 4X4 attend presque chaque élève. Les deux côtés de la rue sont occupés par ces grosses cylindrées, qui parfois stationnent en double. Ce qui provoque des bouchons impossibles. C’est là qu’interviendra Wilbert de 1991 à 2006. Grâce à son travail ardu et la courtoisie qu’il y ajoute, le Commandant gagne la sympathie et l’admiration de nombreux parents d’élèves et de grandes personnalités qui fréquentent l’établissement. Sa mission devant cette école prendra fin le 26 octobre 2006. Date d’ouverture du Big Star Market, à Pétion-Ville. Le propriétaire de ce super marché l’ayant toujours remarqué à l’œuvre sollicite son aide pour la gestion du trafic devant son entreprise.

Depuis, Wilber connaît beaucoup de succès dans son service. Aujourd’hui, il porte cravate et gants pour faire ce travail, pour lequel il est, maintenant, mieux rémunéré. Ses sept enfants vont à l’école. Et il ne demande pas la charité pour eux. Il sert sa communauté. Sa dignité est à la hauteur de son casque de « police universelle », comme dit le badge qu’il porte fièrement sur la poitrine. Il est respecté et admiré de tous. A l’angle des rues Chavannes et Lamarre, c’est lui le commandant !


Gaspard Dorélien  

10 commentaires:

  1. Bravo Gaspard d'avoir fixe ton projecteur journalistique sur ce citoyen actif et engage au service de sa communauté haïtienne, dans un contexte ou chaque dirigeant fait tout pour remplir sa poche, sa mallette, gonfler ses comptes en banques et ses cartes de crédit. Bravo Gaspard et tout mon support moral a Wilbert Augustin.

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  2. Stupéfait! J'ai pris le soin de bien lire et relire, wow! on dirait j'étais sur lieu du fait. Les connecteurs logiques, les enchaînements, les formulations du texte et la manière de relater les faits sont de grands envergures.

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  3. Le texte est accrocheur Gaspard, Bon travail et ce commandant imbattable m'impressionne énormément par son endurance.

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  4. Voila un homme dont la tenacite a porte fruit. Face a la competence du service de la circulation, il faut bien des Wilbert dans ce pays. Pourquoi ne recommande t-on Wilbert pour diriger le comite flambant neuf qui doit se pencher sur les reformes du code de la route en Haiti. J'aimerais bien profiter de cet espace pour demander aux autorites routieres de ce pays s'ils ont un contrat avec le diable pour donner visa a de paisibles citoyens pour aller rencontrer Saint Pierre avant l'heure. Dans quel pays au monde, les gens prennent le volant d'un vehicule sans permis? Seul Haiti. De 2010 a Mars 2013, j'ai observe que la majeure partie des accidents resulte du fait que la cohabitation Taxi motto/voiture est fieleuse. Je me demande pourquoi le Service de la Circulation n'exige pas un frais ou n'encourage pas les auto-ecoles a certifier les conducteurs de taxi motto i.e. preparer des cours de prevention pour eux avant l'obtention du permis. A chaque accident, contravention, le conducteur perd un point sur son permis jusqu'au retrait final pour incompetence et non-performance. Ce serait une source de revenu pour la circulation, moins de blesses, moins de morts, et une meilleurs utilisation de la voie publique, plus de satisafaction pour les beneficiaires de ce servie phare qui a revolutionne le transport public en Haiti. J'ai un plan bien ficele. Que ceux qui sont places pour recevoir les doleances me contactent, car j'ai vraiment marre de m'exposer sur ces "bwat lanmo" que j'utilise malgre tout. E-mail adresse: snel76_2000@yahoo.com
    Bonne chance a Wilbert. Un article tres balance.

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  5. C'est trop bien M. Dorélien :) "A l’angle des rues Chavannes et Lamarre, c’est lui le commandant !"

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  6. Bel coup de projecteur sur un concitoyen digne d'admiration malgre lui!
    Bravo Gaspard!
    Bon boulot!

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