Wilbert Augustin, le Commandant! (Photo d'archives 2006, Gaspard Dorélien) |
Contrairement à ceux qui
portent en général ce titre, c’est un
homme optimiste, souriant et courtois. Il est l’ami de tous les clients de Big Star
Market, ce très achalandé super marché sis à l’angle des rues Lamarre et
Chavannes, à Pétion-ville. A 50 ans, Wilbert Augustin, peut se vanter d’être au
service de sa communauté. Métier : agent de la circulation. Horaire de
travail : 12 heures par jour. Une histoire vieille de 22 ans. L’homme
obéit à sa propre discipline. Pas étonnant que tout le monde l’appelle
commandant !
Lorsqu’on
le voit de loin, celui que tout le monde surnomme le Commandant, projette
l’image d’un vrai agent de la Police Nationale d’Haïti (PNH). Trapu, le visage
bien rasé, la mine sérieuse, Wilbert s’exécute dans la rue avec une dextérité
qui ne manque jamais d’attirer l’attention des passants et des conducteurs
d’autos. N’étaient-ce les gants blancs, sa cravate noire et sa démarche trop
cadencée, ce personnage, qui arbore la réplique presque identique de l’uniformede la PNH, passerait aisément pour un agent de l’ordre.
Sifflet
au bec, casquette bleue avec les armoiries dorées (cadeau d’un vrai officier), chemise
blanche à manches longues, pantalon bleu marine avec les rayures jaunes traditionnelles,
cet autoproclamé « policier universel » assure l’ordre dans la circulation
automobile au carrefour des rues Lamarre et Chavannes. «Mieux qu’aurait pu le
faire un vrai agent de police », de l’avis de ceux qui fréquentent le secteur.
Une passion
De vrais policiers à moto admirant le Commandant |
Depuis
près de trois décennies, Wilbert Augustin dénoue les embouteillages dans les rues de Port-au-Prince. Plus qu’un métier, assurer l’ordre dans la circulation
automobile est une véritable passion pour lui. Une passion qui, tant bien que
mal, lui permet d’assurer l’éducation de ses sept enfants.
L’aventure
commence au carrefour de Musseau, à Delmas 60. C’est là qu’il démarre son
activité. Il délaissera ce lieu quelques années plus tard, pour desservir la
population de Christ-Roi. Il occupera le carrefour Christ-Roi, puis l’entrée de
chez les sœurs de Sainte Rose de Lima, à Lalue. Mais depuis 8 ans, Wilbert
offre ses gracieux services aux usagers de la zone de Pétion-Ville. En fonction
de quoi, il choisit les zones ?
Quand tout a commencé…
Wilbert
est né à Camp-Perrin, une chatoyante localité située à moins d’une heure de la
troisième ville Haïti, les Cayes, dans le Département du Sud. Il a fait une
partie de ses études secondaires chez les Frères, à Mazenode. Il quittera cette
école, l’une des meilleures de la République, et débarque dans la capitale en
1976. Apres la troisième secondaire à Port-au-Prince, il passe un an au garage
de Bois-Verna. Cependant, Wilbert n’a jamais travaillé comme mécanicien. Pas
même une seule fois dans sa vie. Mais le contact avec les véhicules motorisés
est une occupation indispensable à son équilibre. C’est chez lui comme un
appel. « Une mission », confie-t-il.
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Cet
appel, il l’a reçu par une belle journée ensoleillée de mai 1985. Il descendait
en ville quand soudain, arrivé au carrefour de Musseau sur la route de Bourdon,
il remarqua un embouteillage monstre. N’écoutant que son instinct, il descend
de la camionnette et s’installe au milieu du carrefour. En un rien de temps, la
voie est libre. Cet « exploit» lui a valu beaucoup de remerciements et d’encouragements
de la part des conducteurs. Fier de sa bonne action, Wilbert retourne le
lendemain sur les lieux. Il y passera plus de trois mois. Tous les jours, aux
heures des grands bouchons, on le remarque au milieu de ce carrefour aidant les
automobilistes à supporter le stress du trafic urbain. Pour son dévouement, il
reçoit beaucoup de support moral et des mots d’encouragement. Il puise sa
motivation auprès de la population environnante. Et sa passion augmente.
Continuer malgré tout
Il
ne reçoit rien pour son travail. Il continue pourtant. Il laissera le carrefour
de Musseau pour aller prêter ses services dans une zone plus
embouteillées : le carrefour de Nazon/Christ-Roi, sur l’avenue John Brown.
Cinq longues années passeront. Et Wilbert, religieusement, se retrouvera à la
même place, débarrassant cette zone du constant embouteillage. Et pendant ces
cinq années, pas une seule fois, il n’aura reçu un sou de quelqu’un. Mais sa
joie de servir sa communauté, sa courtoisie, sa ponctualité sont demeurées constantes.
Ne vivant pas de son occupation, Wilbert doit sa survie à cette époque, à la
générosité de ses deux sœurs qui vivent à l’étranger.
Quand arrive la récompense
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Mais
les choses ont commencé à changer quelque peu pour le Commandant. Témoin de son
dévouement, le service de la circulation, pour l’encourager, lui offre tous les
mois la somme de cinq cent gourdes (500 gdes). Plus tard, le quartier général
des Forces Armées d’Haïti (FAd’H) lui offre le double. Ce geste
d’encouragement, loin de l’aider à subvenir à tous ses besoins, représente
beaucoup plus à ses yeux. C’est pour lui plus un signe de reconnaissance de ses
services qu’une paie. Là encore, ces marques d’encouragements sont pour lui un
leitmotiv qui permet de donner davantage à sa communauté. Cependant, depuis le démantèlement des FAd’H en 1994, il ne recevra plus ce support financier qui
a quand même représenté quelque chose dans la vie du Commandant. Il ne s’arrête
pas pour autant. Il continue sa noble tâche.
Mais
il change de zone par la suite. Pour un endroit où l’on a encore plus besoin de
lui : l’entrée de l’école Sainte Rose de Lima, à l’avenue John Brown.
Tous
les matins entre midi et 4 heures, un embouteillage magistral se crée devant
cette institution huppée, où une grosse 4X4 attend presque chaque élève. Les deux
côtés de la rue sont occupés par ces grosses cylindrées, qui parfois
stationnent en double. Ce qui provoque des bouchons impossibles. C’est là
qu’interviendra Wilbert de 1991 à 2006. Grâce à son travail ardu et la courtoisie
qu’il y ajoute, le Commandant gagne la sympathie et l’admiration de nombreux
parents d’élèves et de grandes personnalités qui fréquentent l’établissement.
Sa mission devant cette école prendra fin le 26 octobre 2006. Date d’ouverture du
Big Star Market, à Pétion-Ville. Le propriétaire de ce super marché l’ayant
toujours remarqué à l’œuvre sollicite son aide pour la gestion du trafic devant
son entreprise.
Depuis,
Wilber connaît beaucoup de succès dans son service. Aujourd’hui, il porte
cravate et gants pour faire ce travail, pour lequel il est, maintenant, mieux
rémunéré. Ses sept enfants vont à l’école. Et il ne demande pas la charité pour
eux. Il sert sa communauté. Sa dignité est à la hauteur de son casque de «
police universelle », comme dit le badge qu’il porte fièrement sur la poitrine.
Il est respecté et admiré de tous. A l’angle des rues Chavannes et Lamarre,
c’est lui le commandant !
Gaspard
Dorélien
Bravo Gaspard d'avoir fixe ton projecteur journalistique sur ce citoyen actif et engage au service de sa communauté haïtienne, dans un contexte ou chaque dirigeant fait tout pour remplir sa poche, sa mallette, gonfler ses comptes en banques et ses cartes de crédit. Bravo Gaspard et tout mon support moral a Wilbert Augustin.
RépondreSupprimerMerci beaucoup
SupprimerStupéfait! J'ai pris le soin de bien lire et relire, wow! on dirait j'étais sur lieu du fait. Les connecteurs logiques, les enchaînements, les formulations du texte et la manière de relater les faits sont de grands envergures.
RépondreSupprimerMerci beaucoup
SupprimerLe texte est accrocheur Gaspard, Bon travail et ce commandant imbattable m'impressionne énormément par son endurance.
RépondreSupprimerMerci beaucoup
SupprimerVoila un homme dont la tenacite a porte fruit. Face a la competence du service de la circulation, il faut bien des Wilbert dans ce pays. Pourquoi ne recommande t-on Wilbert pour diriger le comite flambant neuf qui doit se pencher sur les reformes du code de la route en Haiti. J'aimerais bien profiter de cet espace pour demander aux autorites routieres de ce pays s'ils ont un contrat avec le diable pour donner visa a de paisibles citoyens pour aller rencontrer Saint Pierre avant l'heure. Dans quel pays au monde, les gens prennent le volant d'un vehicule sans permis? Seul Haiti. De 2010 a Mars 2013, j'ai observe que la majeure partie des accidents resulte du fait que la cohabitation Taxi motto/voiture est fieleuse. Je me demande pourquoi le Service de la Circulation n'exige pas un frais ou n'encourage pas les auto-ecoles a certifier les conducteurs de taxi motto i.e. preparer des cours de prevention pour eux avant l'obtention du permis. A chaque accident, contravention, le conducteur perd un point sur son permis jusqu'au retrait final pour incompetence et non-performance. Ce serait une source de revenu pour la circulation, moins de blesses, moins de morts, et une meilleurs utilisation de la voie publique, plus de satisafaction pour les beneficiaires de ce servie phare qui a revolutionne le transport public en Haiti. J'ai un plan bien ficele. Que ceux qui sont places pour recevoir les doleances me contactent, car j'ai vraiment marre de m'exposer sur ces "bwat lanmo" que j'utilise malgre tout. E-mail adresse: snel76_2000@yahoo.com
RépondreSupprimerBonne chance a Wilbert. Un article tres balance.
Pertinentes remarques!
SupprimerBel coup de projecteur sur un concitoyen digne d'admiration malgre lui!
RépondreSupprimerBravo Gaspard!
Bon boulot!