dimanche 24 novembre 2019

Unlocked


Il n’y avait presque plus de places de parking libres dans les parages.On est samedi. Il est 22h12.. La nuit est encore jeune. Dans ce club branché de Pétion-Ville, certains, après plus de deux mois, vont enfin renouer avec l’évasion des nuits arrosées de musiques américaines, d’alcool, de transes pour une liberté retrouvée. They’ve been unlocked!



C’est $10 américains l’entrée. Une certaine personne fraîchement revenue d’études en économie financière en Europe s’en est plainte. “Après ces 8 semaines de sécheresse économique, je trouve indécent de payer autant pour aller écouter de la mauvaise musique de chez Oncle Sam”, regrette-t-elle. Mais les autres qui avaient soif de ces soirées trempées ont payé sans sourciller. Il paraît que c’est peu payer pour cette liberté perdue depuis plus de huit semaines. Si certains ne sont plus captifs de la dictature de la rue, d’autres vont retourner à leur vie d’enfer inchangée. Ça, c’est déjà oublié.

Les oubliés

On oublie que beaucoup ne pourront toujours pas manger même une fois par jour. On oublie que pendant la grande mobilisation des mois de septembre, d’octobre et jusqu’à la moitié de novembre, plusieurs dizaines de personnes sont mortes, sous les balles de la Police et d’hommes sans foi ni loi, dans cette contestation contre un chef d’État aussi inefficace que superficiel. On oublie que la mauvaise répartition de richesses ici et le manque de vision des autorités de l’État sont responsables du fait que deux millions d’enfants ne fréquentent pas l’école. On se résigne que ces huit semaines soient  perdues. Pour rien. 

À Noël le très contesté président de la République et son épouse formuleront des vœux pour une fête qui ne saura être heureuse pour le peuple haïtien. Sinon, l’économie moribonde du pays aura pris un coup qui va davantage appauvrir des millions d’âmes ici. Encore pour rien. Mais tout ça est oublié, le temps d’une soirée alcoolisée dans un arène de décibels assourdissants.

L’essentiel, c’est d’être “désenfermé” 

L’essentiel, c’est qu’on soit “désenfermé”. Les jupes ultra courtes et les petites robes moulantes abrégées très au dessus des genoux retrouvent toute leur jeunesse ce samedi soir! Les shorts ultra courts sont à nouveau sortis de la penderie. La musique tape sur les tympans. Les serveurs n’ont pas une seconde à eux. Les poches ou les bourses qui sont dans ce club ne connaissent pas la crise.

L’air est embaumé de parfums mélangés de cigare, de cigarette et de chicha. Le doux poison que tous, ou presque tous, se gavent volontiers. Certains se contentent aussi de tirer sur leurs joints. Au su et sous les yeux de tous. On ne se cache plus pour fumer sa beuh ou sa marijuana de nos jours. Même si leur consommation est toujours interdite par les lois haïtiennes. Des agents de la sécurité ont essayé de dissuader un consommateur rebelle d’arrêter d’ajouter encore plus de poison dans l’air. Ils n’ont pas semblé avoir réussi à le raisonner.

23h43. Ils sont plus de 300 à se noyer dans l’espace. Deux musiques de compas sont jouées. L’une est de l’auto proclamé président du Compas. Celui connu comme célèbre misogyne et qui a bâti sa carrière de musicien moyen et sa renommée relative avec les insanités et la musique de basse qualité.

Minuit. Depuis plus d’un quart d’heure, c’est un nouveau DJ qui est aux commandes. Il débite des débilités au micro. Cela amuse les clubeurs. Les clubeuses surtout! Ces dernières se déhanchent. C’est presqu’un cours de déhanchements. Les uns plus provocateurs et aguicheurs que les autres. Pour certaines, la nuit ne sera pas des heures de sommeil tranquille. Je parie ma Prestige “avec chemisette” là-dessus.

1h12. La nuit n’est plus jeune. Ce n’est pas la préoccupation de personne. Maintenant ils sont plus de 500 à jouir de la liberté retrouvée dans ce club. Le son augmente. Il devient impossible de se parler. Qu’importe! On ne se parle pas quand les reins tournoient pour chasser la rouille de huit semaines passées dans l’enfermement. Mais on a aussi l’impression que certains n’ont jamais chômé. On s’en fout de toute façon. They’ve been unlocked!


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