mardi 3 septembre 2019

Employés de l’État haïtien ou les nouveaux mendiants forcés



Des contractuels du Ministère du Commerce qui ont signé leurs contrats depuis octobre 2018, n’ont encore reçu aucun salaire. Certains de la Commission Nationale de Lutte Contre la Drogue (Conald) ont reçu leurs dernières paies en décembre 2018. Des contractuels de l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (Ucref) ont reçu leurs dus depuis juillet dernier. Comment ils font pour boucler tout le mois ou leur fin de mois? Ils mendient. Tout simplement!


Le luxueux bâtiment du Ministère du Commerce où
 les employésn'ont même pas de l'eau à boire
(Photo: Le Nouvelliste)

On les appellera Angie, Marguerite et Gina. Des noms d’emprunt. Ce sont des employées de l’État haïtien aujourd’hui en septembre 2019. Elles acceptent de partager avec nous la nouvelle faculté qu’elles ont du développer: mendier. Elles expliquent comment la vie est devenue un enfer pour elles et pour de nombreux autres employés publics à cause de l’irresponsabilité de l’État qui les paie en retard ou qui ne les paie pas du tout.

“Il n’y a plus aucune différence entre nous, employés publics, fonctionnaires ou contractuels et les milliers de mendiants et chômeurs qui arpentent les rues de la capitale”, s’indignent Angie, qui travaille à la Conald et qui a vu son dernier chèque en décembre dernier. “N’était-ce mon copain, je ne sais à quel saint je me vouerais pour vivre et aller travailler tous les jours”, colère-t-elle. “Il pourvoie certes à mes besoins et me donne de l’argent tous les samedis, mais quand même je suis gênée d’avoir recours à lui pour des besoins insignifiants. J’ai perdu toute ma dignité et redeviens une dépendante malgré que je travaille”, se plaint-elle, la voix enrouée par un gêne perceptible, même au téléphone. L’image d’un employé de l’État haïtien en 2019 s’est complètement dégradée, admet-elle.

C’est dur d’être employé de l’État haïtien en 2019

Marguerite est aussi contractuelle à l’Ucref. On l’a payée depuis juillet. Samedi elle a du avoir recours à un ami rencontré sur Facebook pour avoir les moyens d’aller travailler lundi dernier. Elle pensait pouvoir tenir au moins deux jours avec les 750 gourdes reçus de cet ami. Mais hier, à cause de la crise d’essence non disponible dans les stations d’essence et la rareté des camionnettes et autobus, elle a du payer un taxi moto, 500 gourdes pour se rendre chez elle. Malgré la sévérité de l’administration qui exige l’assiduité et la ponctualité au poste, elle n’a pa pu aller travailler ce mardi 3 septembre. 

Gina qui habitait à Gressier et qui a du déménager à Pélerin 5 chez des cousins à cause de l’insécurité qui règne à Martissant, n’a pas pu être présente à son poste ce mardi au Ministère du Commerce. Elle n’en a pas les moyens. Hier lundi, elle a du payer presque trois fois le prix normal de la course au taxi moto en raison de la rareté d’essence dans les stations de service. Malgré qu’elle estime être chanceuse par rapport à ses collègues qui sont des contractuels qui n’ont pas encore vu la couleur de leurs salaires depuis qu’ils ont signé leurs contrats en octobre 2018. Parce qu’elle au moins, informe-t-elle, a reçu sa paie de juillet peu avant le 15 août. 

Mais il ne reste pas un sou aujourd’hui à Gina. “Quand je me retrouve dans cette situation, je frappe la porte de mon copain ou j’appelle un ami ou une amie pour me dépanner”, relâche-t-elle amèrement. “Tous les mois, poursuit-elle, je dois mendier à droite et à gauche pour pouvoir manger et payer le transport pour aller travailler, parce que l’État est toujours en retard pour le payroll, malgré que je suis une fonctionnaire. Mais c’est pire pour les contractuels qui n’ont rien reçu du tout depuis l’année fiscale qui prendra fin le 30 septembre”, renchérit-elle. Ou se situent-ils les contractuels dans l’administration publique?

Qui sont les contractuels?

 Il y a deux portes d’entrée dans l’administration publique haïtienne: la nomination et le contrat d’un an. Quelqu’un qui est nommé comme fonctionnaire reçoit une lettre du Premier ministre en personne et peut avoir régulièrement son salaire. S’il doit être révoqué, il faut une approbation du numéro deux de l’Exécutif lui-même. Cet employé a droit à la pension et aux nombreux privilèges liés à la fonction. Mais un contractuel signe un contrat d’un an qui peut être renouvelé ou pas. Il n’a pas la sécurité de l’emploie. Même si son contrat peut être indéfiniment renouvelé. Il existe dans l’administration publique aujourd’hui des contractuels qui sont là depuis 20 ans et qui n’ont jamais vu leur cas se régulariser. Un contractuel n’a pas droit à la retraite, à l’assurance et aux autres bénéfices que le fonctionnaire public reçoit. Alors qu’il est astreint aux mêmes contraintes de de régularité dans le travail que le fonctionnaire. 

Trop souvent, pour des motifs politiques et de clientélisme, la population des contractuels dépassent la part du budget réservée à leur paiement. De ce fait, c’est tous les trois mois qu’une institution non autonome de l’État avait le privilège de recevoir le salaire pour ses contractuels. Mais avec la présidence de Jovenel Moïse, caractérisée par des décisions financières et économiques infructueuses et qui s’est butée contre une opposition et des constations à la chaîne dès sa genèse, il devient de plus en plus difficile pour l’État haïtien d’honorer ses engagements envers ces employés. Et de ce fait, ce que vivent les contractuels est inqualifiable.

La mort de la dignité

“Presque tous les employés de l’institution où je travaille vivent dans l’indignité, révèle Angie. Ils sont tous des contractuels. Malgré les efforts des responsables pour régulariser les dossiers de ces travailleurs sans assurance d’emploi, explique Angie, la Primature qui est l’institution qui coiffe ce bureau et qui a le pouvoir exclusif de la nomination, n’a jamais rien fait. “Certains passent la journée sans pouvoir se mettre quelque chose sous les dents et quémandent quelques gourdes pour pouvoir venir travailler le lendemain ”, regrette-t-elle. 

J’ai le coeur brisé, raconte Angie, quand elle voit des employés prendre du café à 2h de l’après-midi comme un repas. “J’ai une collègue qui a apporté  un jour un poulet pays comme repas, elle a connu la plus grande gêne du monde à sortir sa nourriture de sa boîte à lunch, quand elle voyait les autres boire du café ou du thé dans la cafétéria comme déjeuner. Dans ces cas, la solidarité entre collègues de travail devient plus qu’une obligation.

Gina fonctionnaire au Ministère du Commerce, explique qu’il serait une faute grave de manger tout seul à l’heure de la pause. “Quand j’ai les moyens de m’acheter un plat  à 200 gourdes dans les parages du Collège St Pierre, au Champ-de-Mars, je dois absolument le partager avec un contractuel qui n’a pas ce privilège”. “On ne peut plus acheter de jus qui se vend maintenant à 75 gourdes. On se contente de prendre un “fresco” à 20 gourdes devant l’Université Épiscopale”, se morfond Gina qui dit subir dans la chair l’inflation que l’on connait aujourd’hui.

Entre temps, et Marguerite et Gina ne savent pas comment elles vont faire pour aller travailler ce mercredi 4 septembre si la rue le permet. Rappelons que la pénurie d’essence a provoqué des vagues de manifestations dans beaucoup d’espaces du pays, et elles sont violentes par endroit. Ces deux employées de l’État haïtien qui n’ont  pas encore reçu leurs salaires du mois d’août n’ont plus un rond, avouent-elles. Quand à Angie, grâce à son copain aisé qui lui procure les moyens de vivre, malgré elle, pourra se rendre au Conald. Mais elle évite de laisser paraitre le moindre signe d’aisance. Des fois elle évite même de se faire les ongles et d’aller au studio de beauté, juste pour éviter l’insoutenable culpabilité envers ses autres collègues de bureau, pour qui ces apparats sont devenus un luxe intouchable. 


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