C’était la nuit des grandes sorties. Le Karibe Convention Center, à Juvenat, à Petion-Ville, a accueilli le vendredi 2 août 2019, un large et beau public. Endimanché pour la circonstance. Tout le monde était chic pour la grande première du dernier film de Robenson Lauvince, “Je m’en souviens”. Petit récit de ce que je me souviens du film.
L'une des affiches officielles du film, "Je m'en souviens" |
Même si je m’en souviens fort bien, j’oublie volontairement les 90 minutes de retard accumulées avant le lancement du show qui a précédé la projection du film. N’est pas haïtien un spectacle ou toute activité qui commence à l’heure programmée. Définitivement!
MC envahissant
Prévue pour 19h, c’est après 20 heures 30 que le Maître de Cérémonie qui, après des applaudissements sarcastiques de l’élégant public, a fait entendre sa voix. Artiste envahissant de son état, Flav a souvent oublié sa co-présentatrice, Samantha Colas. Égale à elle-même, la ravissante Miss Univers Haïti 2018 a fait preuve d’une élégance admirable. Elle ne s’est jamais battue pour son temps de parole engouffré par le chanteur-présentateur qui doit assurément, plus que tout, adorer écouter sa voix résonner dans la salle.
Après quatre performances artistiques, dont 3 en playback (l’instrumental “Why I love you”, de Major, toile de fond du premier artiste du “line up” n’a pas été retrouvé, selon toute vraisemblance), Flav a demandé que les lumières soient éteintes. Comme si la personne préposée à cette tâche les aurait laissé allumées pendant la projection. Qu’en sait-on? Il n’a pas pris de risque. Par contre, ce qui a suivi cette demande, qui était de trop, a été une surprise. Une bonne. Heureusement!
Manno Beats s’invite de la partie
Les premières images apparues sur l’écran, aménagé pour l’occasion dans la grande salle du Karibe, n’ont pas été celles du film, mais d’un super vidéoclip, du désormais incontournable technicien de son dans le cinéma haïtien, Manno Beats. En effet, c’est sans se plaindre que le public a suivi “Akouna”, une vidéo musicale tournée dans un féérique désert du continent africain. Un résultat décoiffant et bluffant de la collaboration du “beat maker” et chanteur haïtien, Manno Beats d’avec le très connu et charismatique Vox Sambou et de Afrotronix. C’est disponible sur la plateforme Youtube. a musique et la qualité de la vidéo valent le détour.
Début prometteur
C’est le film. Enfin! Après une incursion incongrue du MC, le film commence. Les premières images sont prometteuses. De grosses 4X4 déchirent des routes qui ressemblent fort bien aux nôtres pour s’arrêter dans une cour d’autorité policière. Le réalisateur de “Married men” nous a emmené chez nos frères, dans la capitale du Sénégal, en Afrique. Un coup d’éclat, surtout quand on connait le faible budget dont disposent les directeurs exécutifs du cinéma haïtien.
Des agents spéciaux bien équipés et crédibles avec leur accoutrement, descendent des grosses cylindrées qui, j’espère bien, avaient délié les cordons de la bourse, parce que trop bien vendues par les belles images tournées. On reconnait tout de suite, parmi eux, le fringuant Junior Rigolo qui fait sa première intervention par une question non-essentielle, mais que le public du Karibe a trouvé comique : “ça se passe toujours comme ça au Sénégal?” Ignorons la question comme l’a fait son interlocuteur.
Avant que le reste m’échappe, survolons quelques aspects techniques du film.
8 sur 10 pour la technique
“Je m’en souviens” confirme que les Haïtiens commencent à prendre le toro de la réalisation technique du cinéma par les cornes. Les images de “Je m’en souviens” sont pour la plupart très réussies. Comme celles des dernières productions marquantes du cinéma haïtien, “Kafou”, de Muska Group; “Arnaques en série”, pardon, “Braquages en série”, du très connu journaliste-entrepreneur, Valéry Numa et du très réussi film des illustres inconnus du cinéma haïtien, “Machann fig la”, Amiral Gaspard et Ricardo Tranquillin.
Comme toutes les images de ces dernières productions cinématographiques, “Made in Haiti”, celles de “Je m’en souviens” sont limpides et magnifiques. Les images en extérieur-jour tout comme celles en intérieur-nuit ont été presque impeccables. Le directeur de photographie de ce film a bien fait et réussi son job.
Le réalisateur de son côté a conduit des plans adroits, bien composés et justes. Des champs et contrechamps distingués. Des plans de coupe qui ont effectivement apporté le plus qu’il fallait: du dynamisme dans les séquences. Bien sûr on pourrait reprocher au réalisateur l’abus des plans aériens. Mais il avait un drone, il l’a fait voler. Tout le temps. Pendant presque tout le film. En gros, “Je m’en souviens” n’est pas un film avec des images boiteuses, un éclairage raté et des plans maladroits. Robenson Jovince a mérité les applaudissements arrachés, du public par le MC à la fin de la projection. Mais dommage les péchés commis dans le reste sont impardonnables.
Avant que je ne m’en souvienne plus, revisitons le casting.
7 sur 10 pour le casting
La majorité des performances des acteurs de “Je m’en souviens” n'ont pas laissé à désirer. Ils ont fait beaucoup mieux que le rendement théâtral du jadis cinéma haïtien. Mais certains acteurs, réputés pour être excellents, ont vu leurs talents sous-exploités, et même gaspillés. Le cas de Manfred Marcelin par exemple. Il a eu une performance hors-pairs dans “Kafou”, un film de Muska Group tourné en grande partie en extérieur-nuit et en majeur partie dans le centre-ville de Port-au-Prince. Il était sorti en 2017 et a été récompensé par plusieurs prix, mineurs, internationaux. Bien qu’il n’ait eu qu’un second rôle, Manfred Marcelin a récidivé dans “Braquages en série”, où sa prestation a frôlé la perfection. Mais dans “Je m’en souviens”, il n’y a pas joué pendant 2 minutes. Un petit rôle d’urologue de rien du tout. Alors qu’on sait qu’il aurait pu crever l’écran avec son jeu habituel. Il serait grand temps pour ce vieux routier très performant du cinéma haïtien, de ne plus accepter les petits rôles. Il doit savoir qu’il mérite beaucoup mieux que ça. Bien que très brève, son apparition a été irréprochable. Cependant, un jeu d’à peine 1 minute ne vaut pas une apparition sur l’affiche du film.
Junior Rigolo qui a été l’un des meilleurs promoteurs du film sur les réseaux sociaux, n’a pas eu 5 minutes dans tout le film. Ses deux premières performances ont été limite, niaises. Surtout la deuxième, quand il a sommairement exécuté un homme déjà blessé, sans arme, à terre et a imité le “baw” de l’arme à feu. Le public en a ri. C’était peut-être ça l’objectif, mais comme sa première intervention, c’était inutile.
Kako a bien tenu son rôle. C’est tout. Il fait et même bien fait le job qui lui a été confié. Bien qu’on ait oublié de le griser les cheveux dans certaines scènes où il était censé être déjà assez vieux.
Naika Souffrant, l’ancienne présentatrice de la Télévision Nationale d’Haïti et Miss Vidéomax 2007, a bien joué son rôle d’épouse infidèle d’Abraham (Kako), surtout qu’on ne lui connaissait pas ce talent d’actrice. Elle a été dans la majorité de ses séquences, assez vraie. Elle devrait continuer sur cette lancée. Mais c’était l’un des personnages les plus invraisemblables du film. Elle y a tenu le rôle de la mère de Tahisha, le personnage central du film (Nana St-Eloy) qui paraissait être son égale en âge. Ce n’était pas réaliste pour un sou. À son supposé jeune âge, à part son maquillage de mauvais goût et ses cheveux jaunis qui l’ont un peu enlaidi, on ne l’a pas vieillie du tout quand elle est devenue mère d’une jeune femme approchant la trentaine (je suppose) et grand-mère d’un garçon d’environ 6 ans. Les extensions qu’elle portait ne collaient pas du tout avec son statut de femme possédante qui dirigeait avec son mari un très grand magasin, Ibo Kinkay qui, en passant, a eu la part du lion en termes de publicité. On ne voyait, pendant tout le film et sur tous les angles, que la grosse quincaillerie située à l’angle de la route de Delmas et de Delmas 29. On espère que le paquet investi a valu cette merveilleuse vitrine offerte dans le film.
Philippe St Louis, le capitaine de Mardi Alternative, a incarné un Joassaint devenu âgé. Il n'a pas été ridicule dans rôle. Il est resté lui-même en grillant cigarette après cigarette. Il a été comme un dragon, une cheminée qui pompait que de la fumée. Une vraie apologie de la très nocive cigarette. Cependant, Philippe St Louis, dit Pipo, a été le seul acteur dont le jeu a reflété le ravage psychologique dont a subi le personnage. On a juste omis de lui donner une plume à l'encre rouge, en lieu et place de la plume à l'encre bleue, pendant qu'on présentait une écriture en rouge qu'il aurait réalisé. On n'a aussi pas fait attention à la poudre servant à son maquillage qui tachetait sa chemise et son maillot.
Philippe St Louis, le capitaine de Mardi Alternative, a incarné un Joassaint devenu âgé. Il n'a pas été ridicule dans rôle. Il est resté lui-même en grillant cigarette après cigarette. Il a été comme un dragon, une cheminée qui pompait que de la fumée. Une vraie apologie de la très nocive cigarette. Cependant, Philippe St Louis, dit Pipo, a été le seul acteur dont le jeu a reflété le ravage psychologique dont a subi le personnage. On a juste omis de lui donner une plume à l'encre rouge, en lieu et place de la plume à l'encre bleue, pendant qu'on présentait une écriture en rouge qu'il aurait réalisé. On n'a aussi pas fait attention à la poudre servant à son maquillage qui tachetait sa chemise et son maillot.
La révélation du casting a été, sans conteste, Samuel Daméus (qui a tenu le rôle de Joassaint). Le photographe est sorti avec un rôle qui lui sied bien. Taillé sur mesure. Ses performances ont été aussi calculées que le personnage dans la vraie vie. Un communicateur adroit, à la limite arriviste et “intéressant” dans le sens créole, qui a eu l’occasion de mettre en avant tous ses atouts physiques. Dans la salle, l’écho des femmes émoustillées par sa belle gueule, ses biceps et son ventre tablette de chocolat, m’a assailli et a même piqué la jalousie d’une certaine gente masculine. Ne suivez pas mon regard. Même après la projection, dans la salle, il n’a pas cessé son jeu calculateur. Chacun de ses gestes semble avoir été planifié et exécuté avec doigté. Même son sourire, sa démarche, ses applaudissements et sa posture sur la scène ont été mesurés. Et sa tenues a juste été parfaite. C’était l’homme chic de la soirée. Bon, on pourrait lui reprocher d’avoir été un personnage trop parfait, trop affirmatif, trop idéaliste et même niais certaine fois. Mais, il n’est “reprochable” de rien du tout. Il n’a fait que jouer ce qu’on lui a demandé. C’est la faute aux 8 mains qui ont griffonné un scénario incohérent et invraisemblable. Ce dont je me souviens.
2 sur 10 pour le scénario
Sans exagération, c’est généreux d’accorder 2 sur 10 pour le scénario de “Je m’en souviens”. Si techniquement le film connait une certaine réussite, la classe est à refaire pour les 4 scénaristes, le réalisateur inclus. C’est sans appel. Le scénario est une vraie flopée de conneries. Cet avis est objectif. C’est la grande, la très grande faiblesse du film. Le scénario est un ramassis de scènes les unes plus inutiles que les autres. Il serait juste de se demander si les scénaristes ont, une fois de leur vie, lu un livre ou regarder un film avec l’effet “flashback”. On se perdait tout le temps. Mes voisins n’arrêtaient pas de s’interroger sur les incohérences et la gratuité de certaines parties du film. Plus de temps a été gaspillé à montrer ou faire durer des plans sans importance qu’à faire avancer l’histoire ou à expliquer certains faits. On reconnaissait difficilement les bouts du récit où était conté le présent ou le passé. C’était sans avertissement et sans indices que le spectateur se faisait basculer dans le passé ou était réexpédié dans le présent. Beaucoup de séquences n’avaient pour rôle que de remplir les interminables secondes qui se présentaient comme une torture pour le cinéphile qui déteste les films lents où la trame de l’histoire n’avance pas.
Je vous épargne les détails de certaines séquences restées sans explication. Souffrez aussi que je ne vous compte pas non plus ce dont le film souhaitait parler. La règle qui veut qu’on paie ou explique tout indice avancé n’est pas connue des scénaristes. L’effort technique est louable. Mais dommage que la volonté de faire est loin d’être suffisant. Mais comme a confié le député de Tabarre, Caleb Desrameaux, qui assisté à cette grande première, “nous autres Haïtiens sommes encore dans la phase d’apprentissage du cinéma”. Il n’y a pas lieu de se décourager. Si la technique s’est améliorée dans le film haïtien, un jour viendra où les scénarios seront aussi bons que la réalisation. Merci de répondre présent à l’une des prochaines projections de “Je m’en souviens”. Peut-être que vous serez marqués et vous vous souviendrez de plus que moi.
Gaspard Dorélien, Master of Arts
Merci Mr Gaspard. C'est un travail tres professionnel que vs faites là. Vs venez de me faire visionner le film sans meme y avoir été. Et je fais confiance à votre critique car pour avoir été presente lors de la grande première de " braquage en serie" et j'ai lu aussi votre critique et j'etais 100/100 en accord avec.
RépondreSupprimerMerci GD!
RépondreSupprimerPa du tout! Cet article ne decrit Presque rien de verite sir le film. J'etait présente et le film est un bon film à voir. Je m'en souviens fait une difference. Peut etre Cet journaliste a un probleme personnel avec l'equipe pour vouloir denigrer leur travail sans raison. En tout Cas C'est pas professionelle de sa part.
RépondreSupprimerTrois possibilités d'explication à votre commentaire accusateur: soit vous n'avez pas lu l'article au complet, soit vous n'y avez rien compris ou c'est le premier film que vous avez regardé de toute votre vie.
SupprimerPS 1: on peut pardonner les accents absents sur vos mots. Mais permettez que je vous dise que "J'ÉTAIS" s'écrit avec un "S" et non pas avec un "T". C'est "CE journaliste" et non CET. Professionnel n'a pas 2 LL, mais deux NN.
PS 2: Permettez aussi que vous informe que dans le monde journalistique, que vous ne connaissez probablement pas, il y un travail qu'on appelle "Critique". Ce dernier consiste à analyser toute réalisation et à dire si c'est bon ou mauvais. Et celui ou celle qui fait ce travail n'a pas forcément de "problème personnel" avec l'équipe réalisatrice de l'oeuvre en question. Non je n'ai absolument au problème personnel avec l'équipe qui a réalisé le film.
Merci