vendredi 7 février 2020

3 ans d’échec de Jovenel Moïse


Nul besoin d’être un opposant au pouvoir “Tèt kale” du poulain de l’égrillard Michel Martelly, Jovenel Moïse, pour constater que ce dernier a piteusement échoué comme président de la République d’Haïti. Après trois ans passé à la tête du pouvoir, tous les voyants du pays, indistinctement, sont passés au rouge. Bilan, non exhaustif, d’un incontestable échec.


Le président Joveel Moïse - Photo: Listin Diaro
Parce que Haïti est une République importatrice et qu’elle ne produise et n’exporte pratiquement plus rien, la vie dans ce pays est réglée à l’aune du taux d’achat de la puissante monnaie américaine, le dollar. On importe désormais tout de l’extérieur. Même l’eau et le sel. En grande quantité. La réussite d’un gouvernement est devenue   aussi, par la force de ce phénomène, depuis plusieurs décennies, une bataille pour garder la stabilité de la gourde par rapport au dollar. Le feu président René G. Préval a su le faire pendant son deuxième quinquennat de 2006 à 2011. De ce seul fait, on garde de lui le souvenir d’un chef d’État qui n’a pas totalement échoué. Par contre, ça, Jovenel Moïse et son équipe n’ont pas réussi à le faire. Suivez le regard du taux d’échange du dollar pour ce vendredi 7 février 2020.

94.25 gourdes pour 1 dollar

D’une soixantaine de gourdes, à la prise du pouvoir par Jovenel Moïse le 7 février 2017, on a besoin aujourd’hui, 7 février 2020, de 94.25 gourdes pour acheter 1 dollar, selon le taux d’échange de la deuxième plus grande banque privée du pays. Ce n’est pas une dépression volontaire comme le fait la Chine avec sa monnaie pour s’attirer le plus d’acheteurs internationaux possible. C’est le résultat d’une économie moribonde à la traine de décisions inappropriées d’amateurs de la chose publique, de corruption au plus haut sphère de l’État et d’instabilités socio-politiques permanentes. Il est donc évident que celui dont la constitution tient comme garant de la bonne marche du pays et des institutions, a failli à sa mission. C’est aussi simple que 1, 2, 3. Même s’il y a un mais.

Mais aussi victime de ses origines

La sociologie ou la mentalité discriminante haïtienne ne pardonne pas. Elle n’a pas joué non plus en sa faveur. Jovenel Moïse est fils de paysan. Il vient de la province. D’ailleurs il évoluait en dehors de la capitale avant de s’être fait élire président. En Haïti, c’est comme un péché que d’être né en dehors de la capitale, ironiquement appelée “République de Port-au-Prince”. D’ailleurs l’acte de naissance du président doit porter l’”opprobre étiquette” de “paysan”. D’autant plus, il a “la vaine d’avoir peau foncée”. Même dans la Première République noire au monde, c’est un désavantage que d’être très noir de peau. S’il avait la peau claire comme son mentor, il est évident qu’il ne serait pas traité aussi bestialement comme l’a fait des professionnels du micro durant le dernier trimestre de “pays lock” de 2019 et par des membres aguerris de la population. 
En plus, Jovenel Moïse est “maigre comme un clou de girofle et est gauche”, dit-on et constate-on aussi. L’apparence physique en Haïti est un fait important dans la mentalité collective. Il est difficile qu’un politicien issu de la classe bourgeoise à la peau claire soit élu président et en même temps, on sera bêtement victime de discrimination si on a la peau foncée et l’apparence de Jovenel Moïse. 
Son épouse, Martine Moïse, au sourire éclatant, qui était comme son ombre pendant les deux ans de campagne électorale et au début de son mandat en 2017, a tout de suite été épinglée de “gros soulier” le jour même de son installation le 7 février 2017 à cause d’un choix,  reconnaissons-le, incongru d’une indélicate robe rouge aux boutons dorés et à la ceinture bleue. Le bicolore national portée par une première dame visiblement pas préparée pour jouer ce rôle.
Jamais de l’histoire récente d’Haïti un couple présidentiel n’a été aussi décrié et discriminé. Même des sois-disant professionnels de la radio s’y sont mis entre septembre et décembre 2019, notamment. 
Mais force aussi est d’admettre que jamais le pays n’a été aussi mal dirigé. On doit se rappeler que Jovenel Moïse est issu d’une grande supercherie: la production de banane de sa compagnie Agritrans.

Le grand mensonge de la production de bananes 

Le premier échec ou grand mensonge qu’on peut associer au 58e président de la République d’Haïti, Jovenel Moïse, est son champ de bananes. Ce qui était supposé être un exploit, car c’est sur quoi on a capitalisé pour bâtir sa campagne électorale, c’est la production de banane bio sur plusieurs centaines d’hectares de terre dans le grand Nord du pays. Ceci, selon les promesses du mentor de Jovenel, devait relancer l’exportation, à grande échelle, vers l’extérieur, d’une denrée d’Haïti. 

Presqu’avant même son installation, ce grand champ de banane a disparu. Comme par enchantement. On n’entend plus parler et ne voit plus de production bananière de la compagnie Agritrans de l’actuel président. Il n’y a eu qu’”un seul container” sur le bateau à être chargé de ces bananes du “Nèg bannann nan” pour l’Europe, selon l’économiste et ancien gouverneur de la Banque de la République d’Haïti, Fritz Jean. Selon ce dernier qui a fait des révélations en juillet 2018 à l’Université Quisqueya, la question de l’exportation de bananes était une vaste supercherie. Car le bateau avait été payé $25,000 pour venir prendre l’unique cargaison de $10,000 de bananes en septembre 2015, à la veille de la campagne électorale. C’était à dessein, comprendra qui veut et peut comprendre.

Alors que selon le Ministère de l’Agriculture dominicaine, seulement en 2015, Haïti a importé pour cinq millions de dollars américains de bananes de ce pays. C’est-à-dire qu’Haïti avait 500 fois la capacité d’absorption de la production d’Agritrans cette année-là.  
En 2014, la République voisine a réussi a déversé sur le pays du “Nèg bannann nan” devenu président, plus de 11 millions de tonnes de ce même produit. Ce qui fait, du coup, d’Haïti le premier marché de la banane dominicaine. L’île de Saint Martin, le Royaume-Uni, les États-Unis…grands importateurs du produit, ne sont que des clients de seconde zone de la production bananière dominicaine, rapporte Loop Haiti. 
Ce qui fait que Jovenel Moïse, comme président, est descendu au pouvoir d’une poulie de mensonges du parti au nom aussi vide de sens que de contenus: Parti Haïtien Tèt Kale, PHTK.

Un nom devenu synonyme de mensonge 

On retient surtout des trois ans de Jovenel Moïse, des promesses non tenues. Il avait promis avant et au début de son mandat de résoudre le problème de la pauvreté extrême de beaucoup d’Haïtiens. “Je vais mettre à manger dans les assiettes des Haïtiens et mettre de l’argent dans leur poche”, retient-on de ses promesses de campagne. 
Il avait aussi, sans calcul certainement, promis d’amener l’électricité sur les 27,750 kilomètres carrés du pays avec une alimentation 24h par jour, en 24 mois. Il a beaucoup joué avec ce nombre.
Il a, entre autres, promis avec son projet phare de “Caravane du changement”, presqu’au lendemain de son installation, une augmentation sans précédent de la production de riz dans le Département de l’Artibonite.
Aucune de ces promesses, même pas à 1%, n’a été tenue, trois ans après son mandat. Voici les faits!

Selon le bureau de coordination des Nations unies des affaires humanitaires (OCHA), rapporte le média en ligne Loop Haiti, “’en cette fin d’année 2019, le nombre d'Haïtiens en situation d'insécurité alimentaire s’élevait à plus de 3,7 millions, soit 32% de hausse par rapport à la fin de l’année 2018. Selon les prévisions de ce bureau, 4.6 millions d’haïtiens pourraient souffrir de la faim d’ici mars 2020”. Dans un mois, presque la moitié de la population haïtienne ne pourra pas manger à sa faim. Premier fait.

En juin 2019, date du début de l’alimentation en électricité 24/24 de tout le territoire  d’Haïti, selon la promesse du président, la moyenne d’heures d’électricité de tout le pays n’avoisinait même pas six heures par jour selon les confidences d’un ancien haut responsable de la compagnie électrique publique, Électricité D’Haiti, EDH.  Et en février 2020, des quartiers entiers de la capitale haïtienne n’ont même pas encore reçu six heures de courant électrique depuis le début de ce mois de février. Le directeur général de l’EDH a lâché le couperet hier jeudi 6 février lors d’une conférence au palais national: “la compagnie ne produit pas suffisamment d’électricité disposant uniquement d’une capacité de 45 Méga Watts fournis par les centrales de Carrefour et de Varreux et de 29 Méga Watts produits par EPower, alors que la demande globale pour la région métropolitaine de Port-au-Prince est de 220 Méga Watts. Face à cette situation, l’ED’H s’est vu obliger de limiter sa fourniture en courant électrique à 6 heures par jour au maximum sur certains circuits électriques de la région métropolitaine tandis que d’autres ne pourront bénéficier que de 3 heures de temps, a fait savoir M. Pierre-Louis”, a rapporté Gazette Haïti. Deuxième fait.

Au début de 2017, quand le président Jovenel Moïse faisait la promesse d’augmenter la production de riz dans le Département de l’Artibonite, le gros marmite de riz Sheilla se vendait à moins de 250 gourdes. Aujourd’hui, elle se vend à plus de 600 gourdes dans certains marchés de la capitale. Soit une augmentation de plus de 120%.  Troisième fait.

De part ces promesses répétées et non tenues, sur lesquelles il a aussi insisté, la malice populaire, la réalité aidant, a fait du prénom du président le synonyme de mensonge. “Jovenéliser quelqu’un”, veut dire aujourd’hui, “le rouler dans la farine”. Comme par exemple, ce grand problème de corruption identifié qu’il avait promis de combattre. Et pourtant!

Haïti, plus corrompu que jamais

En septembre 2017, le président Haïtien, du haut de son pupitre lors d’un discours avait dit identifier les cinq problèmes qui empêchent au pays de démarrer. Ces problèmes étaient la corruption. Il avait aussi promis de combattre ce fléau. Mais en 2019, selon un rapport de la Cour supérieur des comptes d’Haïti, le président est lui-même un présumé corrompu car deux des entreprises qu’il dirigeait sont épinglés dans des actes de corruption dans l’affaire des fonds de Petro Caribe.
À date, malgré la forte mobilisation depuis 2018 pour faire la lumière sur les fonds mal dépensés, détournés, dilapidés depuis 2008 et notamment sur le gouvernement de Martelly/Lamothe, selon la Cour supérieur des comptes, mobilisation qui exige aussi que les éventuels responsables soient poursuivis et condamnés, la justice, sous la gouverne du président, n’a jusqu’à présent pas fait arrêter un seul présumé coupable. Ce qui fait, entre autres, qu’en 2020, Haïti est classée 168e sur les 180 pays les plus corrompus de la planète, selon Transparency International. La République dominicaine est 137e sur cette liste.
Jamais l’indice de corruption na été si haut pour ce pays, réputé généralement corrompu aux yeux du monde. 
Selon plus d’un, la vie chère et la misère qui ont considérablement augmentés ces trois dernières en Haïti ne seraient pas juste les résultats de la situation de pauvreté du pays.

Une inflation avoisinant les 20% 

Jamais dans l’histoire de ce pays, même durant la période de l’embargo d’après le coup d’État sanglant du général Raoul Cédras et consort de 1991 contre le président Aristide, la misère n’a été aussi criante qu’aujourd’hui. Selon les dernières données de “Trading Economics”, l’inflation en Haiti est aujourd’hui de 19.5%, alors qu’avant la prise du pouvoir par Jovenel Moïse, elle était à moins de 6%. À côté, chez les voisins dominicains, l’inflation annuelle est en dessous de 3.5%.
Ce qui n’est pas étonnant que presque la moitié de la population haïtienne soit en sécurité alimentaire sous le règne du président Jovenel Moïse.
Toutefois, l’insécurité, durant les trois ans de ce dernier à la tête du pays ne se situe pas seulement au niveau alimentaire.

Une insécurité accrue

Le 1e de ce mois, le journal La Presse du Canada a publié cet article de la journaliste haïtienne, Nancy Roc, avec ce titre combien évocateur et justifié “Haiti, République de gangs”. 
L’ancienne présentatrice du magazine Métropolis sur l’une des radios pionnières en Haïti, Radio Métropole, s’est inspirée de deux “Tweets” d’Haïtiens: « J’hésite entre acheter un cercueil ou un visa », écrit un jeune Haïtien le 24 janvier 2020 sur Twitter. « Je ne vois aucun espoir : voir le soleil se lever est un rêve et lorsqu’il se lève, le voir se coucher est un exploit. » 
Et ces cris de désespoir ne sont qu’une pâle idée du trou creusé par la montée sans mesure de l’insécurité durant le règne des “Tèt kale”. 

Des dizaines de quartiers et de zones à travers tout le pays sont devenus des tranchées où les gangs armés kidnappent, tuent, volent, violent, massacrent impunément la population. Même des membres de la police sont régulièrement victime de la montée en puissance de cette insécurité inqualifiable.

Plusieurs vidéos circulent sur les réseaux sociaux et sur l’application de messagerie Whatsapp où on voit des membres et chefs de gangs font l’étalage des armes de guerre et munitions dont ils disposent. 
D’autres vidéos montrent aussi des images insoutenables de chairs humaines mutilées, découpées et des décapitations spectaculaires comme des animaux dans un abattoir. 

Tout ceci sous la gouvernance de Jovenel Moïse qui n’a nullement réussi a jugulé la violence et la monté en puissance des gangs armés qui font la pluie et le beau temps à travers tout le pays. 

La direction sud de la capitale est depuis deux ans le gros défi insurmontable de la présidence de l’héritier de Michel Martelly. C’est au rythme et au caprice des gangs de Carrefour-Feuille, de Village de Dieu, de Cité L’Éternel, des Première, Deuxième et Troisième avenues, de Martissant, DE Grand Ravine, de Ti Bois et de Fontamara, que les habitants de Carrefour et ceux-là qui doivent se rendre dans les départements du Sud, du Sud-Est, des Nippes et de la Grand’Anse vivent. 
Le phénomène du kidnapping contre rançon a pris des proportions plus qu’inquiétantes ces derniers mois. Selon des informations qui circulaient sur des groupes de journalistes, seulement le mardi 4 février, on aurait signalé à la police avant 17h, près de 20 cas de kidnapping dans la seule zone métropolitaine. À ceux-là, ne sont pas compris les cas non rapportés aux autorités de police. Et des cas pareils, il y en a eu certainement, a opiné plus d’un sur les réseaux sociaux ce mardi.

Dans ce bilan catastrophique du président Jovenel Moïse, il faudra aussi ajouté le fait qu’il n’a pas pu organiser des élections pour renouveler, même peu efficace, le corps législatif. Que cela fait presqu’un an qu’il n’a pas de Premier ministre et de gouvernement légitime. Grand mégalo de son état, personne ne sera étonné si à la fin de cette journée, dans ses propos pour “célébrer ses trois ans au pouvoir”, qu’il se donne un satisfecit pour les très maigres réalisations qu’ils comptent. Dommage qu’on ne lui reconnait pas l’humilité d’un chef d’État qui prendrait le chemin des excuses pour ses manquements, l’incompétence qui a caractérise sa gouvernance, pour ses promesses non tenues et ses mensonges, pour ses présumés fautes de blanchiment d’argent et de corruption qui lui sont reprochés. C’est le champagne qui viendra irriguer la marre de sang qui coule de ses trois ans de règne. En attendant que le pire arrive, l’histoire retiendra que jamais Haïti n’a été aussi mal dirigé durant ses 216 ans d’indépendance.

Gaspard Dorélien, Master of Art



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