vendredi 6 juillet 2012

Tèt kale !

Le président haïtien Michel Joseph Martelly

On n'a sûrement pas beaucoup cogité pour trouver ce slogan. Mais très peu de formules politiques ont eu autant de succès en Haïti que « tèt kale ». De la dynamique campagne du président tout neuf, jusqu'à son investiture samedi 14 mai, « tèt kale » (tête rasée) s'est invité dans tous les discours.



C'est le jour. On est samedi 14 mai. Sweet Micky, qui incarne autant l'ancien groupe musical de tendance compas que le chanteur, élu 56e président d'Haïti, prend officiellement les rênes du pouvoir. A 7h50 du matin, les abords des ruines du palais national grouillent de monde. C'est la célébration de ce que certains appellent « la victoire du peuple ». On s'endimanche ou on porte ce qu'on a. Ou mieux : un maillot, avec l'effigie de Michel Martelly, flanqué du slogan « tèt kale ». Victor, dans la trentaine, arbore un costume crème, chaussures de la même couleur, chemise blanche, cravate rose. Il n'a pas d'invitation. Il n'est pas journaliste. Il ne pénétrera jamais dans la cour du palais. Tout le soleil de plomb de cette journée pèsera fort sur son habit d'apparat. Il s'en moque. « Pour ce jour, je voulais me faire beau pour accueillir mon nouveau président. Tèt kale ! ». C'est comme un mot d'ordre. Tous les discours du jour seront arrosés de la sauce « tèt kale ».

L'école gratuite, « tèt kale » 

« Je prends place, devant, tôt, car je dois voir mon président « tèt kale », se réjouit une sexagénaire, la photo du nouveau président affectueusement pressée contre son coeur par ses deux mains. Si vous lui demandez pourquoi elle est venue supporter Michel Martelly, elle vous répondra dans un zozotement hilarant : « avec lui tous les enfants d'Haïti iront à l'école gratis. Tèt kale !». Elle n'a peut être pas tort d'y croire. Car ce que beaucoup n'ont cru être qu'une belle phrase de campagne a été repris plus tard par M. Martelly dans sa première adresse à la nation. « L'école sera gratuite pour tous les enfants d'Haïti », a-t-il promis à nouveau et l'a même renforcé en soulignant que non seulement l'école sera gratuite, mais elle sera aussi « obligatoire ». « Tèt kale ». 

Les femmes s'y mettent aussi, « tèt kale » 

Non loin du Musée du Panthéon national (Mupana), situé à un jet de pierre du palais national, trois jeunes filles et deux jeunes hommes s'exercent à une pirouette. Ils tournent sur eux-mêmes, en s'immobilisant tous ensemble après un sautillement calculé et crient en choeur : « tèt kale !». Le peuple se l'est approprié. L'officiant du Te Deum de l'investiture aussi, Monseigneur Louis Kébreau. Et que dire du concerné lui-même, Michel Joseph Martelly, tête rasée, de son état. Même les femmes se mettent à la mode du crâne rasé. On ne parle pas ici de femmes, avec les cheveux courts, coiffées à la garçonne, mais de femmes avec la boule à zéro. Zéro ! Coïncidence ou choix esthétique calculé, trois femmes, pour l'investiture, ont été remarquées sur la cour du palais avec la tête rasée. Complètement ! L'une faisait partie du personnel assurant le protocole et les deux autres, des invitées. Le temps de la honte de n'avoir pas de cheveux est révolu.

Évolution, « tèt kale » 

 Autrefois, la boule à zéro symbolisait une forme d'humiliation en Haïti. De façon systématique, on rasait la tête de tout homme incarcéré en prison. Les parents infligeaient ce sort aux garçons qui rapportaient à la maison des bulletins scolaires insatisfaisants. On vous épargnera toutes les significations que la malice populaire a associées à cette chanson culte et à succès de D.P. Express, sortie au cours de la moitié des années 80. « Tèt kale pa vle kite m domi » (Tête rasée m'empêche de dormir). On rasait aussi la tête des petits garçons qui souffraient de « pyas » (dermatose de couleur blanchâtre qui apparaissait sur la tête et qui empêchait la pousse des cheveux sur les parties affectées). Mais, aujourd'hui, on se rase la tête pour faire comme le président, pour affirmer son appartenance à ce qui est devenu un slogan, peut être demain un mouvement politique.

Bonne exhortation. Monseigneur Louis Kébreau, Archevêque du Cap-Haïtien et président de la Conférence épiscopale d'Haïti, célébrant du Te Deum d'investiture de Michel Joseph Martelly, a appelé celui-ci à n'exclure personne pendant son règne. « Tèt kale » ou pas. « Tèt kale », pardon, Martelly, a souhaité monseigneur Kébreau, sera le président de tous les Haïtiens. « Tèt kale ! »

Gaspard Dorélien
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