lundi 18 mai 2020

Discours du 18 mai 2020 de Jovenel Moïse: une insulte à l’intelligence



On oublie, pour commencer, son mauvais ton théâtral et pas du tout convainquant. D’ailleurs ce n’est pas une information. Jovenel Moïse n’a pas le mode d’emploi pour discourir en tant que chef d’État. C’est un fait. Le président haïtien est hyper nul dans cette tâche. Mais plus grave encore, c’était le contenu de ses dires.  Ses propos à l’occasion de la célébration des 217 années de la création du drapeau d’Haïti et la fête de l’Université, ont constitué un discours accusateur, prônant la division et truffé d’excuses pour se déresponsabiliser de ses actes manqués et de sa gestion catastrophique du pays… Comme nous tous, ordinaires sujets, son Excellence s’est contentée de se plaindre de tout. Une vraie insulte à l'intelligence collective.



Jovenel Moïse lors de son discours ce 18 mai 2020


Analyser un nième discours du Président de la République d’Haïti, Jovenel Moïse, c’est accepter de se répéter. Alors répétons-nous. Comme toutes les autres fois, ça été un exercice manqué. Analyser son discours, c’est aussi accepter de n’avoir qu’une appréciation négative de ce travail. Comme toutes les autres fois, il a été nul. Sans exagérer. En toute objectivité, le premier citoyen de la nation, même trois ans après, ne parvient toujours pas à apprendre la leçon. Il communique mal de par le ton utilisé et de par son gestuel. Jovenel Moïse dans un discours est comme un menuisier se retrouvant, bistouri en main, dans une salle d’opération avec un patient le ventre ouvert. Imaginer le dégât. C’est ce que le président de la République, dans ses prises de paroles, fait. Des dégâts. Et dans celui prononcé le 18 mai 2020, il a poussé encore plus loin les limites du parler pour ne rien dire.


Pire que les autres fois, il s’est dit que tous ceux-là et toutes celles-là qui l’écouteront sont des imbéciles. C’est ce qu’on doit avoir en tête comme a priori pour débiter aussi mal de pareilles sottises. Il était sûrement convaincu que nul ne comprendra son exercice de brassage du vent. Plus que jamais, à travers les propos tenus sur la cour du palais national, avec comme bruits de fond, des paons qui braillaient ou des oies qui cacardaient, Jovenel Moïse a insulté l’intelligence de tout un peuple.


La manière de présenter le discours a été nulle et ennuyeuse. Le ton a été incertain, il a tout fait pour qu'on ne croit rien dans ce qu’il disait. Nul besoin d’être un incrédule pour douter de lui, il a juste été lui-même: un locuteur non-convainquant. Quant au discours, c’est un ramassis d’excuses, de paroles qui le déresponsabilisent de sa fonction de chef d’État. Comme le simple citoyen n’étant revêtu d’aucun pouvoir, il n’a fait que diagnostiquer des maux dont souffrent affreusement le pays. Comme si se proposer comme président et après avoir été élu ne lui conféraient pas le pouvoir de résoudre ou même de commencer à solutionner ces problèmes, car beaucoup sont endémiques et ne sauraient être déjà complètement résolus en trois ans. Le président de la République a adopté, pour la énième fois la posture d’un citoyen ordinaire qui se plaint de tout ce qui manque à ce pays pour en faire un endroit où on ne fait que survivre. 


Tout haïtien a soupé des rappels du contexte historique de la création du drapeau. À force de le rappeler chaque année dans ses prises de paroles, Jovenel Moïse a rendu fanés ces exploits d’armes du passé et le dépassement de soi dont ont fait montre, les créateurs de la nation haïtienne. En trainant la tonalité de sa voix qui frisait la pitié, il a, comme toutes les autres fois, rappelé un exploit qu’aucun responsable contemporain du pays n’a réussi à faire. Il a tout fait pour qu’on zappe le discours et aller chercher mieux à regarder et à écouter sur Internet. 


Il n’a pas tardé, dans le discours marron qui caractérise le mauvais Haïtien, pour signifier au peuple qu’il a toujours eu des ennemis tapis dans l’ombre qui empêchent au pays d’avancer. Des ennemis qui, a-t-il dit, complotent pour garder Haïti dans la marre du non-développement. Ces sangs-sus, dénonce-t-il, gardent pour eux seuls les maigres mamelles de la République. Il dit les connaitre. Mais se demande-t-on, qu’est-ce qui empêche au chef de l’État de mettre hors d’état de nuire, des ennemis du pays qui ourdissent pour faire couler la barque de la nation, qui volent et qui pillent le pays le plus pauvre et le plus appauvri de l’hémisphère? La fonction du président de la République comme le prescrit la constitution n’est-elle pas de s’assurer le bon fonctionnement des institutions et donc l’avancement du pays? Un président qui ne fait que constater, comme le commun des mortels haïtiens, le dépérissement de cette nation vieille de 216 ans, est-il digne de se faire encore appeler et de s’appeler chef de l’État? Qu’est-ce que le pays gagne à avoir à sa tête un responsable, grassement soigné, qui ne peut même pas arrêter des ennemis de toujours qui sont sur le territoire national et qui mettent des bâtons dans les roues, déjà chauves, de l’État? Il regrette, comme nous tous, la présence de ces loups qui empêchent au peuple d’avoir l’électricité et les routes. Pourquoi avoir un responsable, s’il ne remplit pas sa fonction? Quelle est l’économie de la chose d’avoir un président qui ne fait que rapporter ce que tout le monde sait déjà. Il n’y a pas d’électricité. On ne le sait que trop bien. Il manque des routes, environ 4,000 kilomètres, a-t-il précisé, qui circule à travers le pays et qui n’est pas au courant qu’il nous manque des routes?

Jovenel Moïse a-t-il redéfini la fonction de président de la République? Consiste-t-elle désormais à dénoncer qu’un petit groupe empêche à tout projet de développement d’être exécuté pour le bien-être de tous? Être président en Haïti consiste-t-il à n'être qu’un dénonciateur impuissant?

Il a rappelé dans son discours les piliers de son projet de développement axé sur la santé, les infrastructures, etc. Qu’est-ce qui a donc empêché le chef de l’État d’augmenter la capacité de l’Université d’État d’Haïti à former plus de médecins? Qu’est-ce qui l’a empêché de mieux traiter ceux qui servent déjà le pays en leur offrant un meilleur salaire et en les payant à temps? Qu’est-ce qui a empêché le président de s’assurer que la finalisation de la construction de l’Hôpital Simbi Continental à Fontamara, prévue pour 2015, ait au moins pû se faire pendant les trois ans passés à la tête du pays? Combien d’hôpitaux dignes de ce nom ont été construits pendant son mandat? Quels étaient donc les fondements de ce plan de santé? Les ennemis de la République clairement identifiés par le chef de l’État sont aussi responsables de ces devoirs non réalisés? Ce sont ces mêmes oligarques qui font qu’aujourd’hui on ne peut même pas offrir à une femme enceinte un espace décent et sécuritaire pour accoucher?


Pourquoi avoir un président qui s’avoue impuissant face à des groupes qui n’ont pas reçu de mandat du peuple pour conjurer ses maux?

Si le président connait ces gens qui surfacturent des services à l’État et qui font en plus de l’évasion fiscale, pourquoi il ne les fait pas arrêter et juger?


Dans son discours de ce 18 mai 2020, le président s’est aussi présenté comme une victime de ces groupes de possédants identifiés et de ces politiciens véreux qui veulent le pouvoir sans passer par la voie des urnes. Selon lui, ces strates de la société veulent le présenter comme étant l’ennemi du peuple. Il s’est défendu de ne pas être cet ennemi, car lui, il a travaillé pour les habitants de Jérémie à qui il a donné un aérogare et des routes pour les sortir de la poussière. Il n’a pas manqué de rappeler qu’il avait et qu’il a encore des projets pour le pays. Bien entendu, il ne peut toujours pas les mettre à exécution à cause de l’instabilité politique. Il faut croire qu’assurer la stabilité politique du pays ne relève pas de ses fonctions. Il n’est pas garant de la bonne marche du pays. Ne vivait-il pas dans le pays avant de se présenter comme président de la République? Ne connaissait-il pas les problèmes du pays? Ne savait-il pas d’avance qu’il fallait avoir des couilles solides et des projets assurés pour pouvoir donner un minimum de résultats?

Il est trop facile de venir se plaindre aujourd’hui que ses échecs sont de la faute des autres? Il ne fallait pas seulement voir les avantages qu’offre le pouvoir en Haïti. Il fallait aussi prendre avec tous ces privilèges, la lourde tâche d’améliorer les conditions de vie d’un peuple qui a connu la dictature et des inconscients comme responsables. Quels sont donc les résultats des trois ans de Jovenel Moïse au pouvoir?   


Le peuple est appelé en renfort pour combattre des ennemis que lui il connait, mais qu’il ne dit pas. Il demande aux Haïtiens d’identifier leurs ennemis alors qu’il serait plus simple de les nommer, puisqu’il dit les connaitre. Il est tellement facile de pointer du doigt des fautifs invisibles. C’est la formule préférée des incapables et des incompétents, dit-on.

Il a aussi renforcé la maladroite conception du rôle du député qui dans la croyance populaire doit être plus un maire, un agent de développement, un exécutant de petits projets qu’un législateur, qu’un contrôleur de l’exécutif. Il a envoyé des fleurs pour des députés qui travaillent pour construire des routes. Il n’arrête pas d’étonner avec ses bêtises, ce cher président qui doit toujours se rappeler et rappeler à tous que le chef de l’État c’est lui. Mais tout s’arrête là. Il n’est pas obligé de donner satisfaction aux besoins les plus élémentaires de la nation. À manger par exemple. Ah c’est vrai, ça il l’avait promis. Mettre à manger dans l’assiette vide du peuple. Et aussi de l’argent dans sa poche trouée. 


Les ressources de l’État sont certes très limitées en plus d’être mal réparties, mais il est honteux que le président se donne un satisfecit pour avoir décidé, ce sont ses propres mots, de donner à un million cinq cent mille familles, 3,000 gourdes. Quand on sait que déjà avant la pandémie de la Covid-19 qui fait de grands torts à l’économie mondiale, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) avait déjà annoncé que 4 millions d’Haïtiens seraient dans la famine extrême en mars, on est en droit de se demander comment cette manne de Jovenel Moïse, qui sera donnée une seule fois, va aider à combattre la faim avec une inflation dépassant les 20%? 

En quoi un geste pareil constitue-t-elle une action d’éclat par rapport au nombre de personnes qui seront touchées par ce dérisoire montant pour que le chef de l’État le mette en avant pour dire qu’il travaille pour ce peuple? C’est franchement prendre les petits enfants de Dessalines pour des pintades sauvages!


Il a terminé son intervention en relatant des efforts entrepris par l’État pour lutter contre la pandémie du Coronavirus dont la propagation a connu des proportions importantes ces deux dernières semaines, quand on considère le nombre de cas confirmés qui a été publié. 

Il a aussi souhaité une joyeuse fête à l’Université d’État d’Haïti, dont le 18 mai ramène aussi l’anniversaire. Mais devrions-nous aussi rappeler que le président qui s’octroie la paternité de la moindre action positive de l’État, n’a rien fait pour l’UEH? La majorité des 11 entités de l’Université publique qui ont été ravagées par le séisme du 12 janvier 2010 ne voient toujours pas l’ombre de reconstruction de leurs locaux. 


Dans les dernières parties de ce discours qui a duré 50 mauvaises et douloureuses minutes et 39 amères secondes, il a eu un ton plus ferme. Mais c’était pour continuer ses paroles de division entre possédants et pauvres; pour s’excuser du fait de ses actions ratées et pour avouer sa honteuse impuissance à mettre de l’ordre dans le désordre qu’il constate. Une fois de plus, le chef de l’État a tenu un discours creux, émaillé de “ce n’est pas de ma faute mais c’est la faute aux autres si après trois ans et trois mois au pouvoir, aucune de mes promesses n’a atterri.” Il a été aussi pitoyable que l’incompétence dont lui et son équipe de Tèt Kale ont fait montre depuis son accession au pouvoir. Les faits sont incontestables. Les Haïtiens sont devenus plus pauvres qu’en 2017. L’inflation n’a jamais été aussi haute. Il n’a jamais fallu autant de gourdes pour acheter un dollar (106.50). L’insécurité n’a jamais fait autant peur. Le pays n’avait jamais connu autant de zones de non-droit. Et jamais un président de la République n’a été autant traité de menteur et jamais un chef d’État n’a autant inspiré si peu de confiance. Comme toutes les autres fois, c’est un discoureur nul qu’on a connu le 18 mai 2020 et ce sont des propos vides de contenu qui ont été tenus. Mais encore plus que les dernières fois, ce discours a été un véritable gifle à l’intelligence. 


Gaspard Dorélien, MA