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Le président haïtien Michel Joseph Martelly |
On n'a sûrement pas beaucoup cogité pour trouver ce slogan. Mais très
peu de formules politiques ont eu autant de succès en Haïti que « tèt
kale ». De la dynamique campagne du président tout neuf, jusqu'à son
investiture samedi 14 mai, « tèt kale » (tête rasée) s'est invité dans
tous les discours.
C'est le jour. On est samedi 14 mai.
Sweet Micky, qui incarne autant
l'ancien groupe musical de tendance compas que le chanteur, élu 56e
président d'Haïti, prend officiellement les rênes du pouvoir. A 7h50 du
matin, les abords des ruines du palais national grouillent de monde.
C'est la célébration de ce que certains appellent « la victoire du
peuple ». On s'endimanche ou on porte ce qu'on a. Ou mieux : un
maillot, avec l'effigie de
Michel Martelly, flanqué du slogan « tèt kale
». Victor, dans la trentaine, arbore un costume crème, chaussures de la
même couleur, chemise blanche, cravate rose. Il n'a pas d'invitation.
Il n'est pas journaliste. Il ne pénétrera jamais dans la cour du palais.
Tout le soleil de plomb de cette journée pèsera fort sur son habit
d'apparat. Il s'en moque. « Pour ce jour, je voulais me faire beau pour
accueillir mon nouveau président. Tèt kale ! ». C'est comme un mot
d'ordre. Tous les discours du jour seront arrosés de la sauce « tèt kale
».
L'école gratuite, « tèt kale »
« Je prends place, devant, tôt, car je dois voir mon président « tèt
kale », se réjouit une sexagénaire, la photo du nouveau président
affectueusement pressée contre son coeur par ses deux mains. Si vous lui
demandez pourquoi elle est venue supporter Michel Martelly, elle vous
répondra dans un zozotement hilarant : « avec lui tous les enfants
d'Haïti iront à l'école gratis. Tèt kale !». Elle n'a peut être pas tort
d'y croire. Car ce que beaucoup n'ont cru être qu'une belle phrase de
campagne a été repris plus tard par M. Martelly dans sa première adresse
à la nation. « L'école sera gratuite pour tous les enfants d'Haïti »,
a-t-il promis à nouveau et l'a même renforcé en soulignant que non
seulement l'école sera gratuite, mais elle sera aussi « obligatoire ». «
Tèt kale ».
Les femmes s'y mettent aussi, « tèt kale »
Non loin du Musée du Panthéon national (Mupana), situé à un jet de
pierre du palais national, trois jeunes filles et deux jeunes hommes
s'exercent à une pirouette. Ils tournent sur eux-mêmes, en
s'immobilisant tous ensemble après un sautillement calculé et crient en
choeur : « tèt kale !». Le peuple se l'est approprié. L'officiant du Te
Deum de l'investiture aussi, Monseigneur Louis Kébreau. Et que dire du
concerné lui-même, Michel Joseph Martelly, tête rasée, de son état. Même
les femmes se mettent à la mode du crâne rasé. On ne parle pas ici de
femmes, avec les cheveux courts, coiffées à la garçonne, mais de femmes
avec la boule à zéro. Zéro ! Coïncidence ou choix esthétique calculé,
trois femmes, pour l'investiture, ont été remarquées sur la cour du
palais avec la tête rasée. Complètement ! L'une faisait partie du
personnel assurant le protocole et les deux autres, des invitées. Le
temps de la honte de n'avoir pas de cheveux est révolu.
Évolution, « tèt kale »
Autrefois, la boule à zéro symbolisait une forme d'humiliation en Haïti.
De façon systématique, on rasait la tête de tout homme incarcéré en
prison. Les parents infligeaient ce sort aux garçons qui rapportaient à
la maison des bulletins scolaires insatisfaisants. On vous épargnera
toutes les significations que la malice populaire a associées à cette
chanson culte et à succès de D.P. Express, sortie au cours de la moitié
des années 80. « Tèt kale pa vle kite m domi » (Tête rasée m'empêche de
dormir). On rasait aussi la tête des petits garçons qui souffraient de «
pyas » (dermatose de couleur blanchâtre qui apparaissait sur la tête et
qui empêchait la pousse des cheveux sur les parties affectées). Mais,
aujourd'hui, on se rase la tête pour faire comme le président, pour
affirmer son appartenance à ce qui est devenu un slogan, peut être
demain un mouvement politique.
Bonne exhortation. Monseigneur Louis Kébreau, Archevêque du Cap-Haïtien
et président de la Conférence épiscopale d'Haïti, célébrant du Te Deum
d'investiture de Michel Joseph Martelly, a appelé celui-ci à n'exclure
personne pendant son règne. « Tèt kale » ou pas. « Tèt kale », pardon,
Martelly, a souhaité monseigneur Kébreau, sera le président de tous les
Haïtiens. « Tèt kale ! »
Gaspard Dorélien
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