A propos

vendredi 6 juillet 2012

L'amère thérapie du silence

Si vous leur tendez un micro, le haut-parleur restera muet. Ils ne parleront jamais. Certains vivent la déchéance haïtienne avec un mutisme surjoué. Lourd. Triste. Pénible. Amère. En Haïti, au temps des grandes crises, le silence devient thérapie.

 Angie, la soixantaine sonnante, adore les livres. Elle en a fait d'ailleurs un métier. Elle choisit dans un pays, où la lecture est un exercice élitiste et le pouvoir d'achat l'apparat d'une minorité, de vendre des livres. Elle est libraire. Depuis plusieurs décennies. Elle ne vous dira pas qu'elle est préoccupée par la menace qui zyeute l'avenir de sa librairie. Comme tous les commerçants de la commune de Pétion-Ville, elle redoute une possible casse postélectorale. Comme ça a été le cas au premier tour.

A un journaliste qui l'invite à une émission culturelle à la radio pour parler du métier de libraire en Haïti, elle exprime un refus catégorique. Pas question pour elle de prendre la parole dans ce tintamarre, cette crise, cet incertain, ce gouffre... qui caractérise le quotidien de cette Haïti d'aujourd'hui. « Je ne parlerai pas ! Je ne veux pas parler...». Comme Myriam qui est galeriste, comme Jérôme qui est peintre, comme Maude qui est professeur à l'université, Angie fait du silence le remède à ses maux. Ces maux d'un « pays à l'avenir incertain ». Même à la veille des élections qui doivent renouveler le personnel politique.

« Les élections, je m'en balance »

Si les meetings politiques de Mirlande Manigat et de Michel Martelly font jubiler des foules de sympathisants, ils n'augurent rien de bon pour nombre de citoyens et de citoyennes d'Haïti. « Leurs discours sont truffés de promesses fallacieuses, irréalisables durant leur quinquennat », tonne Jérôme dans un accès de colère. Le pire, c'est que le peuple y prête foie, poursuit-il. Jérôme est un excellent peintre qui a réussi dans le domaine. Ses toiles ont fait le tour du monde et font partie des oeuvres de grands collectionneurs haïtiens et étrangers. Ses enfants fréquentent les meilleures écoles en Haïti et en Amérique du Nord. Mais Jérôme ne croit pas que l'avenir sera prometteur pour lui et ses enfants en Haïti. 

Les discours des candidats sont révélateurs d'une vision étriquée qui ne répond guère au besoin réel du pays, juge-t-il. Les élections devraient être porteuses d'espoir, de changement, de renouvellement, mais celles-là, selon moi, sont loin d'accoucher tout ça, prévoit Jérôme, avec un rictus de colère. « Ces élections, je m'en balance », crache-t-il. Ces opinions exprimées par Jérôme se limiteront dans des discussions entre des membres de sa famille et de ses amis proches. Ne lui demandez pas d'en parler haut et fort. Il ne croit pas que sa voix pourra changer les choses. « Je me tais pour soigner mes blessures issues des prochaines déchirures encore plus béantes de la terre qui m'a vu naitre ».

 « Je me nourris de silence »

Maude, 34 ans, est une ancienne enseignante de sociologie linguistique à l'Université d'État d'Haïti. Aujourd'hui elle fait une maitrise aux États-Unis en politique publique orientée vers la question de genre. Elle est de passage en Haïti pour des entretiens devant servir à l'élaboration de sa thèse. Elle se dit tenailler par le sombre et triste sort qui attend le pays à l'issu des élections. Parce qu'elle aussi, ne voit en aucun des candidats le personnage idéal pouvant apporté ce changement majeur qui peut inverser la direction vers l'abîme que semble prendre le futur d'Haïti.

« Mais j'irai voté. Étant donné que je serai au pays au-delà du 20 mars. Des deux candidats, il y en a un avec qui on courra moins de risque », rassure-t-elle. Maude remplira son devoir de citoyen, explique-t-elle, non pas parce qu'elle a été convaincu par le programme ou le discours de l'un ou l'autre candidat, mais parce qu'elle croit pouvoir éviter le pire venant de l'un des candidats. Ne la demandez pas qui des deux candidats représente ce mal pour le pays. Elle vous répondra qu'à ce stade son espoir est muet. « Je me nourris de silence », poétise-t-elle.

« Silence jusqu'après les élections »

« Ce n'est pas le moment. Il n'y a rien à dire dans ce pays avant les élections. Si je dois parler à la radio ce sera après les élections », répond Myriam à un journaliste. Cette dernière est une sommité de l'art plastique en Haïti et propriétaire de galerie d'art. Pourtant l'invitation du chroniqueur ne touchait nullement la politique. Avant les élections qui semblent représenter une épée de Damoclès sur l'avenir du pays, pense Myriam, pas question de parler d'art, de peinture... Elle saura après les élections si l'art aura encore une place dans le désordre qui peut en résulter. L'angoisse et l'inquiétude qui rongent cette dame dans la soixantaine sont perceptibles dans sa voix. Pour ne pas la perdre, elle se tait. Elle s'interdit de parler.

Ce silence est majeur. Pour beaucoup de compatriotes haïtiens le pays va mal. L'avenir est incertain. Et ils vivent dans une douleur inexprimée ce mal-être du pays. Elever la voix, s'opposer à ce déroutement, argumentent-ils, ne changera pas les choses. « J'ai été au front en 1986, 25 ans après l'écho de ma voix me donne des remords », avance l'un des protagonistes cités plus haut. « J'ai affronté le macadam en 2003 et 2004, mais rien a changé depuis », reconnait un autre. Frustrations, remords au trippe, ils se tapissent dans le silence pour tenter de se guérir du mal qui tétanise le pays. « Se taire peut parfois être thérapeutique quand le parler est vide d'espoir ». Chhhhhhhtttt !!!!

Gaspard Dorélien
Suivez-moi sur Facebook et Twitter



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire