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samedi 25 mai 2019

“Machann fig la”, un film vrai


C’est un film vrai. Une tranche de vie du quotidien rural haïtien. Sans fioriture. Sans chichi. Sans artifice. La sincérité du film est d’autant plus matérialisée dans le jeu de maître de l'héroïne principale de l’oeuvre, Ti Manise, la marchande de figue banane. Les réalisateurs, anciens étudiants de Artist Institute de Jacmel, ont passé haut la main le test. Ils ont réussi leur film. Et ce n’est pas leur faire de cadeau que de faire une telle affirmation.


Amiral Gaspard et Ricardo Tranquillin, en tant que réalisateurs de “Machann fig la”, ont rendu justice à la superbe histoire que les six mains de femmes ont accouchée. En effet, le scénario qui porte à la fois un relent dramatique, romantique et “haïtien” est l’oeuvre de Myriam Nelson, Estella Valsaint et Ossela Chery. Toutes sont des anciennes étudiantes qui ont bouclé leurs études à la prestigieuse école de cinéma, Ciné Institute, devenue Artists Institute, que la ville de Jacmel héberge depuis plus de 10 ans. 


“Machann fig la” n’aura coûté que trente cinq à trente sept mille dollars américains, selon l’un des producteurs, César Bougon Massena. Acteurs et techniciens, presque tous comme anciens étudiants de Artist Institute, ont accepté de travailler à prix réduit ou même bénévolement. Toutefois, ce maigre budget ne les a pas empêché de délivrer une marchandise de qualité.

Machann Fig la”, une oeuvre supérieure

C’est l’histoire d’une rurale (Ti Manise) qui ne sait ni lire, ni écrire, mariée à un artiste peintre (André) qui travaille dans la ville de Jacmel. Pour se défendre face à la vie, elle vend des figues banane et des mandarines dans les rues de cette ville du Sud-Est. Elle est aussi mère d’une intelligente fillette (Andrine). André a honte d’elle et ne la comble pas. Il va rarement la voir dans la zone reculée de la ville où elle vit seule avec leur fille. Ti Manise est aimée à distance par Joseph, un marchand ambulant de sucrerie et d’unités de téléphone. Ti Manise ne lui offre aucune porte d’entrée. Elle est mariée et fidèle à son mari André qu’elle aime malgré tout. Mari, dont elle justifie l’absence et l’indisponibilité par son travail absorbant d’artiste peintre, auprès de sa collègue marchande de fruit, Mèmène. 
Ti Manise va sortir de ses gonds quand elle découvre qu’André a une histoire extra conjugale avec une autre femme qui lui passe un savon au téléphone. La rencontre avec sa rivale va se tourner au drame. Et c’est là qu’intervient l’amoureux dans l’hombre, Joseph, qui fera même l’impensable, au nom de l’amour, pour aider Ti Manise à sortir du drame dans laquelle elle se trouvait. 
Il y a eu une fin heureuse qui a plu au maigre public présent dans la salle de projection. Ils ont, debout, applaudi le film. Il n’y a pas eu de déception. Il y a même eu de courtes et discrètes larmes de joie d’un spectateur à l’âme sensible, habitué à pleurer. Même sur des chansons. Aux candeurs mélancoliques. Bien entendu!

C’est un drame, avec des incursions comiques, que les acteurs ont interprété avec excellence, pour certains. Berline Charles qui incarne Ti Manise était tellement vraie dans son rôle, qu’elle nous fait oublier parfois qu’elle jouait selon un script. Son jeu, les expressions de son regard, ses répliques, ses réflexes… avaient tout d’une Haïtienne typique, réelle et sincère. Le naturel de Ti Manise a crevé l’écran. Il est rentré, subtilement, à la fois dans le vécu et l’imaginaire du spectateur qui connait bien la vie rurale haïtienne. Et on avait du mal à voir en elle juste une actrice. Elle a été tout ce qui est authentique de la femme du “pays en dehors” d’Haïti. La performance d’autres acteurs comme Valéry Alcide (Joseph), de Josaphat Beauvais (André) et particulièrement de Valierie Alcide (Mèmène) sont à saluer et respecter. Les spectateurs ont été agréablement surpris par le bref passage et performance de l'acteur international haïtien qui a poussé des pieds la lourde porte de Hollywood, Jimmy Jean-Louis Mais il n’y a pas eu que les acteurs qui ont joué pour la réussite du film. Les techniciens du tournage ont aussi apporté leur touche d’excellence à “Machann fig la”. 

Technicité réussie

Un spectateur ou cinéphile averti et avare de plans et d’images bien tournés, est servi dans “Machann fig la”. Des images qui sont même de l’ordre de la poésie foisonnent le film. Les scènes d’intérieur et d’extérieur nuit qui représentent les point d’achoppement de beaucoup de films haïtiens ont été savamment réalisées. Les images, à ce niveau, ont été aussi ténébreuses que les nuits crépusculaires, difficilement brillantées par la lueur des lampes à verre. Le directeur de photographie a fait un travail impeccable. Et tout ceci a aidé à faire de ce film une oeuvre supérieure. Il est donc un fait que la formation académique représente un moyen efficace pour éviter la réalisation des films qui ne valent  absolument rien et qui n’ont d’acquis que la célébrité relative de leurs auteurs. 

L’école, pour éviter les navets 

“Machann fig la”, qui est une réussite, à tous les points de vue, est la preuve que le parcours académique est un chemin sûr pour acquérir le savoir-faire et le professionnalisme dans dans toute l’acceptation du terme. 

Certains scénaristes et réalisateurs dans ce domaine, qui se meurt en Haïti, devraient suivre l’exemple de cette équipe. Ils se sont donnés la peine de visser leur postérieure sur les bancs d’une école de cinéma pendant deux ans. Ils ne seront peut être pas couverts d’argent, en récompense à cette magistrale réalisation, mais ils pourront illustrer le fait que nous ne faisons pas tous dans le ridicule dans le domaine du cinéma en Haïti. C’est un fait indéniable que le 7e art en Haïti se consume à petit feu et que ceux-là et celles-là qui investissent des efforts titanesques pour le maintenir encore en vie, sont des héros et des héroïnes, mais n’empêche que beaucoup de ces courageux travailleurs ne donnent naissance qu’à des navets. En renfort à leur volonté, certains devraient se parer d’un costume d’humilité et retourner tout simplement à l’école.

“Machann fig la”, projeté dans le cadre du Festival nouvelle vue au Ciné Triomphe, n’a pas fait perdre leur temps au très peu d’amants du cinéma qui ont fait le déplacement. 
Il y avait sur place, malheureusement, plus de bénévoles et de membres de l’équipe que de spectateurs venus regarder le film à cette deuxième séance de 18h. Guy Robert Barjon, producteur exécutif du film, a évoqué la situation d’insécurité, le manque de promotion pour le festival pour expliquer la salle qui était clairsemée lors de cette projection. 

Le Ciné Triomphe, inexploité

En attendant, la Banque de la République d’Haïti (BRH) et la Présidence qui sont au contrôle du Ciné Triomphe, selon les dires du producteur César Bougon Massena, prive les cinéphiles d’un espace de loisir qui a coûté 7 millions de dollars américains aux contribuables haïtiens. Le Ciné Triomphe qui a été réparé, remis à neuf et inauguré depuis le 18 mai 2015, n’est jusqu’à présent pas mis en service pour ce à quoi il est destiné, entre autres: projection de films. En août de l’année dernière, la très grande foule avait fait le déplacement pour la grande première du film à Port-au-Prince. Ce samedi, “Machann fig la”, a eu le privilège d’être projeté à nouveau dans ce même ciné qui n’est pas exploité. 

Ce n’était pas comme dans le temps, où l’odeur du cheddar enfumait la halle. Il n’y avait pas le charme des après-midi sans fin où des amoureux se tenaient la main pour entrer dans les salles obscures. Le popcorn, sans beurre et sans fromage se vendait dans un sachet marron, sans inscription. Sans rien. Sinon, le sel que l’acheteur devrait ajouter lui-même. Mais c’était quand même, comme au cinéma. Il n’y avait pas la grande foule. Le ciel était gris. Le temps menaçant. Mais pour certains, c’était comme revivre un moment sacré: venir regarder un film au cinéma à Port-au-Prince. C’était si beau que ce samedi 25 mai 2019 ressemblait à un dimanche dans les parages du Ciné Triomphe, au Champ-de-mars. 

Gaspard Dorélien, Master of Arts

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