A propos

mardi 18 avril 2023

« Le mal du pays »


C’est personnel. Je vis chaque mot. Chaque phrase. Chaque accord de cette guitare singulière. Je subis le mal du pays dans la chanson au même titre, de l’immortel Manno Charlemagne. On dit que pleurer soulage. Mais mon cœur devient plus lourd à chaque écoute. Reviendrai-je “chanter les espoirs de mon île?”


Manno Charlemagne 1948-2017

Je m’étais toujours dit que le mal du pays, c’est pour les autres. De mon île exploitée, je n’avais jamais prévu de m’éloigner assez longtemps pour connaître le mal du dépaysement. 

 

Le mal du pays est ce pincement, cet inconfort, cette sensation d’être toujours incomplet, ce mal tout court… de perdre l’odeur nauséabonde de la pisse dans certains coins de rue; le cris dérangeant des marchands ambulants; le bruit strident et cacophonique de la ville… mais aussi le bleu qui semble être permanent dans le ciel; l’odeurmarine des côtes qui vous empli le poumon de son souffle unique; la résilience des guerrières et des guerriers qui sont plus têtus que les maux qui semblent habiter cette portion de l’île; cette fierté d’être un descendant de ceux-là et de celles-là qui ont inventé la liberté; d’être de cette terre où tout ancien esclave devenait libre dès qu’il la foulait…

 

Le mal du pays, excellemment orchestré par Manno Charlemagne, n’aidant pas, m’a fait réaliser à quel point j’étais loin de la mer. D’admettre qu’il pouvait faire froid pendant plusieurs mois de l’année. Relativiser devient pour les exilés du jour et de l’avant-jour une philosophie de tout instant.

 

Je ne suis pas maso, mais je ris quand j’entends ici l’histoire d’un poignardé faire la une pendant une semaine dans les médias… Alors que notre quotidien là-bas, c’est une suite de tous les maux de la vie qu’on égraine sous le regard témoin du soleil. chanson rappelle la ballade nocturne des hommes encagoulés qui arrachaient les “fils bien-aimés” de leurs familles; les accords des mitrailles qui violent régulièrement la tranquillité fragile de la nuit.

 

Cette chanson est un cri complet qui vous fend le cœur par sa démarche de prise de conscience de notre situation d’exilés; une invitation à revenir pour “chanter la liberté” et provoquer du même coup la mort des tyrans qui ont malmené le pays. 

 

Les pleurs brûlants me sortent des yeux, particulièrement à chaque lecture d’une interprétation de cette chanson par l’Haïtienne Gaya Michel Élie au concours La Voix, en 2015 au Canada. Cette talentueuse chanteuse, loin de travestir cette chanson légendaire, profonde et magique, l’a bonifiée par sa voix puissante, sincère et sûre. 

 

La chanson est aussi une invitation sous forme interrogative à retourner là-bas pour “chanter à nouveau les espoirs de notre île”. Sans l’ombre d’un doute. On peut bien la quitter cette terre. Mais même avec ses imperfections et ses maux, elle ne vous quitte jamais. 

 

Même si en pleurer ne m’a point soulagé, pleurons ensemble, vous tous exilés et auto-exilés haïtiens du monde entier. Pleurons fort. Pleurons vrai. Les larmes trouveront la route jusqu’à l’île et laveront la terre des maux pour lesquels nous continuons de nous exiler. Pleurons! Les pleurs, sauf pour moi, conjurent “le mal du pays”.

 

Gaspard DORÉLIEN, MA

Ottawa

 


samedi 8 avril 2023

Alan Cave, la meilleure voix de la musique haïtienne de tous les temps 

 

On a eu des Ti Manno, Amstrong Jeune, Réginald Cangé... Mais Alan Cave, sans forcé et sans le vouloir, peut-être, a dépassé les meilleures voix du compas et la musique haïtienne en général. Il a la magie du chant. Il ne force rien. Il chante comme un dieu. Contestez, si vous voulez, mais Alan Cavé est la meilleure voix du Compas et la musique venant d’Haïti. De tous les temps. 

Je commencerai par un petit exercice. Il n’est pas périlleux mais assez ardu. J’espère que le résultat sera exhaustif. De quoi s’agit-il? Mettre la beauté de la voix d’Alan Cavé en images. Visuellement, elle serait comme une fraîche rosée, assez fine pour être discrète. Une rosée de la bonne heure du matin qui s’incruste à très faible dose avec une lenteur enivrante sur les pétales, les feuilles des fleurs… Et une fois là, une harmonie naît. Les plantes deviennent lumineuses et crèvent les yeux, séduisent, envoutent… avec leur beauté. 


À l’oreille, la voix d’Alan Cavé est un son sûr, suave et haletante qui fait l’amour à nos tympans. En plus de cette douceur qui caractérise la voix du chanteur, la majorité des textes qu’il chante sont très forts en poésie. La majorité des interprétations du chanteur, notamment sur ses albums solo, sont le mariage d’une voix qui séduit et de paroles captent par leur grand élan poétique.


Georges Alan Cave est sans aucun doute l'une des figures les plus emblématiques de la musique haïtienne. Né en 1966 à New York, il a grandi dans une famille de musiciens et a commencé à chanter dès son plus jeune âge. Après avoir passé plusieurs années aux États-Unis, il est retourné en Haïti pour se lancer dans une carrière musicale qui allait marquer l'histoire de la musique compas. 


Pour le journaliste culturel Jean Venel Casséus “la grande plage de variétés que peut atteindre la voix d’Alan Cavé dépasse le cadre du compas. Et ce serait dommage de le confiner dans le stricte genre Compas… Pour moi Alan Cavé est la meilleure voix de Compas de tous les temps”. 


De son côté, le chroniqueur et critique musical Jhonny Célicourt décrit la voix d’Alan Cavé comme “Onctueuse, feutrée, mielleuse et qui vous transporte”. Monsieur Célicourt ne va pas jusqu’à lui accorder l’étiquette de meilleure voix de la musique haïtienne, mais c’est sans retenu qu’il clame que c’est “l’une des meilleures voix de la nouvelle génération de la musique haïtienne”.


Le compas, le genre musical haïtien a émergé dans les années 1950. Il combine des éléments de différents styles musicaux tels que la salsa, le merengue et le jazz, et est connu pour ses rythmes entraînants et son instrumentation riche. Alan Cave a rapidement acquis une renommée dans le monde du compas grâce à sa voix exceptionnelle et sa présence scénique captivante.



Il a commencé sa carrière musicale en tant que membre du groupe Zin, avec lequel il a sorti plusieurs albums à succès, dont “O pa” (1988) et “Kanpe sou yon bit” (1999). Mais il a véritablement brillé en tant qu'artiste solo. En 2001, il a sorti son premier album solo intitulé "Se pa ou dat", qui a connu un succès immédiat en Haïti et dans la diaspora haïtienne.


Depuis lors, Alan Cave a sorti plusieurs albums à succès, notamment "Douce" en 2005, "Zouk Kreyòl" en 2009 et "Tèt ou" en 2017. Chacun de ses albums est un mélange captivant de rythmes compas, de ballades romantiques et de collaborations avec des artistes haïtiens et internationaux renommés.


Mais ce qui distingue Alan Cave de nombreux autres artistes du compas est évidemment sa voix. Elle est indécemment riche et cette voix est à la fois tendre et puissante, capable de transmettre une large gamme d'émotions. Sa voix est profonde, sensuelle, mélancolique à souhait et pleine de nuances, et il sait l'utiliser pour donner vie à ses chansons.

Pour Ismaëla, jeune mélomane haïtienne qui vit au Canada, “Alan Cavé est exceptionnel”. 


Il est donc facile de comprendre pourquoi Alan Cave est considéré comme la meilleure voix du compas de tous les temps. Il a été salué par des critiques musicaux de partout pour sa voix exceptionnelle, son talent d'auteur-compositeur et sa contribution à la musique haïtienne.


Alan Cave est un artiste qui a marqué l'histoire de la musique compas. Il a une voix qui est à la fois puissante et émouvante. Il est sans aucun doute l'une des figures les plus emblématiques de la musique haïtienne et sa contribution à l'évolution du compas est inestimable. Alan Cave est un artiste talentueux et engagé, qui a réussi à se faire une place dans le cœur des Haïtiens et des amateurs de musique compas du monde entier. Sa voix unique et sa personnalité charismatique ont fait de lui une légende vivante de la musique haïtienne, et son héritage musical continuera de résonner pendant de nombreuses années à venir.


Gaspard Dorélien, MA

Ottawa