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dimanche 19 avril 2020

La pornographie et les enfants : un mauvais ménage

Article rédigé le 25 mars 2005

À Port-au-Prince, les magazines pornos se vendent dans les rues, à côté des établissements scolaires, sur les places publiques... Ecoliers, adolescents..., tout le monde peut avoir accès, quand il le veut, à une séance de photos XXX. Les premières victimes de la pornographie sont les enfants et les adolescents. 
(Photo: African sad story that will make you cry - Facebook page)

La position des experts est claire. Ce groupe d'âge ne possède guère les moyens défensifs pour prendre le recul et réagir face au stimulus sexuel. L'exposition à la pornographie constitue un facteur négatif de changement de comportement. C'est ce que prouvent diverses études menées à travers le monde entier. 

Cette modification du comportement peut aller de la violence physique à des sentiments dégradants envers soi et surtout envers la femme. Car l'image de celle-ci, telle que présentée dans la pornographie, est celle d'un objet sexuel. L'esthétique féminine est rabaissée et bestialisée dans la pornographie. 


Ce qu'en disent des chercheurs de l'Université d'État d'Haïti 

Le professeur Roosevelt Millard, Travailleur Social, qui a déjà effectué des recherches sur l'éducation sexuelle en Haïti et est responsable de l'année préparatoire à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) de l'Université d'État d'Haïti (UEH), avance que l'enfant ou l'adolescent n'a nullement la capacité de réagir, à son avantage, face aux charges informationnelles et émotives que renferme un magazine ou un film porno. Ce qui provoque un déséquilibre social et psychologique de l'enfant, poursuit-il.

D'après le professeur Hancy Pierre, Travailleur Social, détenteur d'une maîtrise en Sciences Sociales et responsable du Département de Travail Social de cette même Faculté de l'UEH, dans tous les pays où il existe des autorités responsables, des dispositions appropriées sont prises pour protéger les enfants et les adolescents contre l'accès et l'exposition à la pornographie. À ce propos, le professeur Pierre pointe directement du doigt l'Institut du Bien-Être Social et des Recherches (IBESR) à qui la loi fait injonction de protéger les enfants contre la pornographie, l'alcool, la drogue... qui sont des éléments criminogènes, c'est-à-dire des facteurs qui contribuent à l'extension de la criminalité dans la société, explique-t-il. Car la loi organique du ministère des Affaires Sociales, publiée dans le journal officiel Le Moniteur en date du jeudi 24 novembre 1983, stipule en son article 146 que le service de contrôle de la Prostitution de l'IBESR a pour tâche: d'assurer conjointement avec les services intéressés le contrôle des publications, des spectacles pornographiques et autres, des émissions radiophoniques ou télévisées de nature à corrompre les moeurs.

Ce qu'en dit le président du CECOSIDA 

Le président du Centre de Communication sur le Sida (CECOSIDA), M. Roosevelt Jean-François, pense qu'il est bien de vivre dans un pays libre, mais, d'après lui, cette liberté ne doit pas se confondre avec le libertinage. Il indique que les responsables étatiques doivent prendre ipso facto les mesures pour redresser cette dépravation qui aura de graves conséquences sur le devenir de la nation. Selon M. Jean-François, la pornographie a pour but principal d'inciter ses consommateurs au sexe. Et quand les jeunes y sont exposés, explique-t-il, ils augmenteront le taux des relations sexuelles précoces, ce qui accroîtra ensuite le taux de grossesses prématurées et les risques d'infection aux maladies sexuellement transmissibles (MST), principalement les IST/Sida. 
(Photo: El Pais)

Le président du CECOSIDA précise que la lutte contre le VIH/SIDA implique aussi la prise en compte de tous les facteurs qui peuvent augmenter les possibilités d'exposition au virus. Voilà pourquoi, avance-t-il, il est plus qu'urgent que cette situation soit vite redressée, car, avoue-t-il, écolier et pornographie ne font pas bon ménage. 

L'omniprésence des magazines X à Port-au-Prince 

Les petits bouquinistes se sont multipliés dans les rues de Port-au-Prince au cours des dix dernières années, d'après ce qu'on a pu observer. Les romans à l'eau de rose, les ouvrages scolaires, les encyclopédies et quelques titres haïtiens ont tout d'abord constitué le fond principal de la marchandise offerte. Aujourd'hui, on retrouve à côté des Barbara Carteland, Guy Des Cars...et des Fichiers Vuibert, des Québec Érotic, des Érosphères... qui sont des revues pornos de langue française made in Canada.

De Pétion-Ville au Portail de Léogane, de Delmas au Centre-ville, ces magazines se vendent dans presque chaque coin de rue et se retrouvent sur les tablettes de beaucoup de bouquinistes de Port-au-Prince. Les vendeurs réclament jusqu'à 150 gourdes pour les deux magazines susmentionnés. Mais un bon négociateur peut les avoir pour 75 gourdes ou moins. Ne leur demandez pas leur source d'approvisionnement. Ils ne vous le diront pas. Mais certains, plus coopérants, vous diront à Pétion-Ville. N'espérez pas plus de détails. Ces vendeurs redoutent la concurrence. Il existe cependant des points de vente célèbres à Port-au-Prince et à Delmas. Au Champ-de-Mars, à la Rue Capois, voie très fréquentée par des écoliers, il y a un premier « kiosque » situé à deux ou trois mètres du « Supermarché du Champ-de-Mars » devant l'ancien restaurant « Table Ronde ». À l'angle des rues St-Syr et Capois, à une ficelle, sont suspendus ces mêmes magazines où se vendent à côté, à l'intention des jeunes écoliers surtout, des copies des hits de chansons américaines, françaises et haïtiennes. Sous la galerie de « Paradice » à côté de la Pharmacie du Champ-de-Mars, toujours à la Rue Capois, un rasta propose, avec quelques mois ou années en retard, presque tous les magazines people français et américains, qu'on retrouve sur les étagères des librairies. Mais les journaux pornographiques occupent une place importante dans tout ce lot. Au carrefour de l'Aéroport, à proximité de la grande Place de Delmas, les magazines à contenu pornographique se vendent à côté d'autres revues, de grammaires d'anglais, de petites boites de lait, des sachets de spaghetti, des sandales artisanales, et même des chaudières de « Béga »... 
En face de l'entrée de Delmas 19 et Ciné Impérial, le même produit est offert. En exclusivité en plus. 

Leçons de sexe au Champ-de-Mars 

C'était un mercredi. Il est midi. Le champ-de-Mars regorge d'écoliers. Ils viennent surtout des écoles publiques de Port-au-Prince. Certains lisent. D'autres étudient. Ou attendent les autobus qui viendront les chercher. Par ailleurs, il y en a qui n'ont tout simplement pas été à l'école. Retenez qu'ils sont surtout constitués de garçons. 

Sur la Place de l'Empereur Jean-Jacques Dessalines, cette catégorie qui pratique l'école buissonnière offre des cours à leurs camarades. Exclusivement féminins, S.V.P. ! Des leçons de sexe. Muni d'un magazine pornographique, « Erosphères », l'un des plus répandus dans les rues de Port-au-Prince, un jeune garçon qui ne doit pas dépasser les 16 ou 17 ans, assisté d'un autre qui doit avoir le même âge que lui, explique magistralement les rudiments d'un coït hétérosexuel à deux jeunes filles, dont l'une est probablement plus jeune que lui. Il passe ensuite à l'autosatisfaction où il explique à ses deux apprenantes, illustration à l'appui, comment un homme ou une femme peut se procurer du plaisir en se masturbant. Cette phase passée, Monsieur le professeur de sexe, en suivant les contenus proposés par « Érosphères », fait une entrée en matière sur les jouissances que peuvent se procurer deux femmes. Lesbiennes, bien sûr. Il s'arrête un moment. À sa plus jeune élève, le professeur précoce, propose : « Si tu n'en peux plus, je peux te garantir tout ce que nous venons de voir là, j'habite tout près d'ici ». La fille feignant de rien comprendre ne répond pas. Ses yeux sont restés collés sur la photo de deux femmes nues qui échangent, les yeux fermés, un profond baiser. C'est à ce moment que ce professeur, portant un pantalon gris et une chemise blanche, remarque que, derrière lui, il y avait un intrus qui assistait, bloc-notes et plume en mains, à son cours de sexe. Brusquement, il fait demi-tour et sur un ton menaçant m'apostrophe : « Je suis A...., Alias Depòte, je suis en seconde au Lycée Toussaint Louverture et j'habite au Bel-Air, fais-moi voir ce que tu notais là, sinon tu risques d'avoir pris les dernières notes de ta vie... ». 

N'ayant pu faire bonne impression avec sa voix infantile, il rengaine en renforçant le ton. Peine perdue. Convaincu de ne pas réussir son coup de bluff, il retourne à ses occupations. Son cours de sexe.

En parcourant au cours de cette semaine les rues de Port-au-Prince, entre 12h et 16h, vous rencontrerez certainement, dans un carrefour, un écolier, magazine en mains, en train de s'offrir gratuitement une séance de photos et de littérature pornographiques. Ne demandez pas au ministère de la Culture d'intervenir, car la ministre et les cadres sont trop occupés dans des choses plus littéraires, comme la Francophonie, explique un étudiant en Communication sociale de la FASCH. Non plus à l'IBESR, car deux services seulement fonctionnent dans cette institution : le prénuptial et l'adoption, poursuit-il. 

Les résultats de l'exposition des jeunes à la pornographie, on le saura peut-être quand une étude sera réalisée sur le profil des violeurs de la cité, on saura que beaucoup de ces derniers sont consommateurs de productions pornographiques. En France, une étude réalisée en ce sens a révélé que sur un échantillon de 198 femmes agressées et questionnées pour savoir si leurs partenaires consomment des matières pornographiques, et si elles avaient été forcées ou invitées à regarder des images ou scènes pornographiques, 40,9% des femmes révèlent que les agresseurs sont des consommateurs pornographiques. La majorité des femmes étaient invitées ou forcées à regarder des scènes ou à poser pour des scènes pornographiques.

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