A propos

samedi 5 octobre 2019

Ce dont parle le pamphlet de Rénald Lubérice


“Ce dont Réginald Boulos est le nom”, loin d’être un essai, comme se veut l’auteur, est un pamphlet qui désigne, à renfort de justifications, les acteurs économiques d’Haïti comme des oppresseurs et du coup, responsables de tous les malheurs du pays. Selon Rénald Lubérice, le médecin, homme d’affaires et politique nouvellement assumé, Réginald Boulos est l’incarnation de ce système. Tout ce dont parle ce pamphlet, dans les lignes qui suivent.




Le Docteur Réginlad Boulos (Photo: page Facebook du concerné)
Le titre “Ce dont Réginald Boulos est le nom” est un pastiche de l’essai, parent du pamphlet, du philosophe et romancier français, Alain Badiou, “De quoi Sarkozy est-il le nom ?”. Cette réflexion de l’écrivain français né au Maroc est parue le 26 octobre 2007 aux Éditions Lignes, soit 12 ans avant la sortie de ce pamphlet du secrétaire général du conseil des Ministres de la présidence de Jovenel Moïse et conseillé politique du président depuis 2016.

L’auteur, doctorant en Relations Internationales, d’entrée de jeu, s’est fourvoyé en clamant que sa réflexion, hautement polémique, est un essai. Le pamphlet est un genre littéraire qui se distingue de l’essai quand sa charge réflexive attaque un homme ou une institution avec violence et méchanceté, notamment sur des motifs politiques. La forte teneur subjective et polémique dirigée contre un homme, Réginald Boulos, déclasse la démarche de M. Lubérice dans le genre essai et la place, sans conteste, dans le rang de pamphlet.

“Ce dont Réginald Boulos est le nom” est aussi une tentative, non nouvelle, d’expliquer l’oppression qu’il qualifie d’inhumaine, qu’exercent les agents économiques “mulâtres et arabes”, soutient M. Lubérice, aidés des politiques “noirs” et de la société civile asphalteuse, sur la majorité de la population dont le destin misérable est scellé, selon l’intellectuel de 38 ans, originaire de Belladère, du Centre d’Haïti. Et encore, selon ce dernier, le Docteur Réginald Boulos serait l’archétype de tout ce système économique. Avant de voir le contenu de ce court texte - avec le regard  de professeurs et universitaires haïtiens -  voyons ses traits constitutifs.

Présentation physique du pamphlet

Le pamphlet "Ce dont Réginald Boulos est le nom"
(Photo: compte Twitter de l'auteur)
103 pages plus la table des matières s’étendant sur une seule page, composent le pamphlet paru à compte d’auteur en juillet 2019. Cependant, la réflexion, les élucubrations et l’argumentaire étriqué de l’auteur s’étalonnent, tangiblement, sur moins de 90 pages pour ce pamphlet de format 5 ½ par 8 ½ de pouce. Si on ne prend pas de notes, il peut être facilement lu en moins de deux heures.

La couverture de couleur blanche est illustrée par le dessin d’un personnage courbé en avant sous le poids de la représentation des bâtiments de l’Office national d’assurance vieillesse (Ona), du Palais national d’Haïti d’avant son écroulement lors du tremblement de terre de janvier 2010 et en arrière-plan, l’enseigne du supermarché Délimart. On peut facilement assimiler le personnage, exagérément ventru dans l’illustration, avec la monture carrée noire de ses lunettes et le crâne rasé au Docteur Réginald Boulos. La mine que fait le personnage peut être associée à du cynisme ou à la douleur éprouvée d’avoir sur son dos tout le fardeau des bâtiments qu’il retient avec la main droite tournée en arrière. Du dessous du bloc des bâtisses se dégouline une substance épaisse et gluante assimilable à de la boue ou de matières fécales qui se répandent sur la chemise bleu ciel et le pantalon gris que porte le personnage. Son bras gauche orné d’une montre dorée est suspendu au bas de son corps avec le point fermé sur le titre en bleu du pamphlet “Ce dont Réginald Boulos est le nom”. Comme sous-titre et en très petit caractère par rapport au titre, on retrouve en bas à droite “Comment maintenir un système économique d’oppression fabriquant misère et désolation humaine”.

Le résumé de la quatrième de couverture ne correspond absolument pas au titre du livre. Pas une seule fois le nom de Réginald Boulos n’est cité et rien ne permet de justifier ce à quoi le pamphlet prétend. Toutefois, ce résumé à fort accent hargneux, s’aligne au discret sous-titre.

Sur un repli sur fond gris de la couverture, une photo floue de l’auteur, tout sourire, précède une biographie avec la mise en avant de son expérience de professeur à l’université.

Un repli de la quatrième de couverture présente quatre titres déjà parus sous la plume de l’auteur. 

Ce pamphlet qui se veut une réflexion oscillant autour de l’économie, notamment, ne contient qu’une seule illustration à la page 49. Un tableau flou, difficilement lisible, de l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (Ihsi) qui présente l’évolution annuelle en % de l’indice des prix à la consommation des produits locaux et importés pour l’ensemble du pays d’avril 2018 à avril 2019.

L’explication ou la seule interprétation proposée du tableau est une opinion sur ce qu’il appelle “les oppresseurs économiques et les opprimés”. Ce qui nous amène à parler de la méthode dont a fait usage M. Lubérice dans la rédaction du pamphlet.

Une méthode loin de l’académique

L'auteur du pamphlet, M. Rénald Lubérice (Photo: compte Twitter
du concerné)
“Une paresse intellectuelle sans nom caractérise la démarche de Rénald Lubérice”, regrette Joseph Chanoine Charles, animateur à radio Vision 2000, émettant dans la capitale haïtienne depuis plus de 20 ans. Le journaliste culturel avait reçu en interview l’auteur au magazine hebdomadaire Pluriculture au cours du mois de semptembre dernier. En effet, le doctorant en Relations Internationales et professeur à l’Université n’a pas prêché par l’exemple en usant des méthodes académiques élémentaires dans l’élaboration de sa réflexion critique et polémique. Il avance des chiffres, parle de concepts et de faits sociaux sans donner la provenance de ses dires.  Ainsi, il définit la connaissance de par lui-même. Il en serait la source. De par cette méthode, celui qui a fait des études doctorales en Relations internationales et ancien conseiller à l’Ambassade d’Haïti à Bruxelles (Belgique) de l’ancien président Michel Martelly, ne se distingue pas du commun des mortels haïtiens non astreint à la rigueur académique comme l’auteur, qui se permet d’avancer n’importe quoi sans base théorique et ne s’appuyant sur aucune démarche scientifique.

Par exemple à la page 47, il avance que “les deux catégories d’Haïtiens (Mulâtres et <<Arabes>>), représentant 3% de la population, véritables princes du système détiennent 80% de l’économie nationale. [...] 97% de la population ne partagent que 20% de l’économie nationale”. D’où proviennent ces chiffres? Quand et par qui ont été effectuées ces études?
Les 103 pages du pamphlet sont parsemées d’attitude grossière, arrogante et antiacadémique où l’auteur s’invente des chiffres et décide de la signification de concepts existants. Et à souhait, il change les chiffres à la progression de ses divagations. Par exemple, à la page 47, il parle de 80% des richesses du pays qui sont détenues par “les mulâtres et arabes”, alors que à la page 80, il parle de 85%. Sans justification temporelle et bien entendu sans donner la source d’étude de telle répartition.

À la page 51, il décide arbitrairement qu’un produit qui se vend à $100 à l’étranger, reviendrait seulement à $110 en Haïti après les frais de transport, de douane et de stockage.

Dans les pages 65 et 66, il avance des chiffres sur le secteur de la pêche, comme tombés du ciel. “[…] un investissement de 70 millions de dollars assurera les besoins de 30,000 tonnes de fruits de mer du pays. Il générerait un chiffre d’affaires annuel de plus de 300 millions de dollars. Le retour sur investissement est ultra-rapide”. De telles assertions ne peuvent être le fruit d’une entreprise fantaisiste. Seulement des études peuvent permettre d’affirmer que l’investissement de 70 millions dollars est nécessaire pour des besoins calculés en fruits de mer de 30,000 tonnes. Si ces études pour le secteur halieutique ont été effectuées, par absence totale d’honnêteté et de probité intellectuelle, M. Lubérice n’a pas pris la peine de mentionner sa source. Ce qui est enseigné en première session, en tronc commun (première année) pour toute étude en sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti (Ueh), où il enseigne actuellement.

Toutefois, il n’y a pas que cette attitude contradictoire au regard du statut d’acteur du système de M. Lubérice qui fait défaut dans le projet et les écrits qu’il a accouché dans “Ce dont Réginald Boulos est le nom”.

Contradictions, encore des contradictions !

Le docteur haïtien en Sociologie, Ély Thélot soutient à ce propos, dans un entretien exclusif, en ces termes : “concernant le livre de Rénald Lubérice, il me pose un double malaise : l'auteur est le secrétaire général du conseil des ministres. À ce titre, il incarne le pouvoir. Il a la responsabilité de porter un discours rassembleur, qui montre que la présidence n'est pas une affaire de clans, mais une question d'Etat. La posture de l'auteur n'est pas cohérente. Il aurait dû démissionner de son poste avant de publier ce livre qui attaque aussi frontalement une frange importante de la société haïtienne”.

Le flyer annonçant la vente signature avortée du pamphlet
Concernant la vente signature avortée du pamphlet, programmée pour le vendredi 20 septembre, le docteur Thélot s’interroge sur la grande faiblesse de l’État auquel M. Lubérice appartient : “comment le secrétaire général du conseil des ministres peut-il se plaindre de ne pas pouvoir faire la vente signature de son livre, en raison des pressions subies? C'est là reconnaitre que le régime actuel est dans l'incapacité totale de garantir le respect des droits fondamentaux des citoyens et que les plus proches du président se plient sans honte aux volontés totalitaires d'un seul homme d'affaires qu'ils disent être leur adversaire politique.

Un autre docteur haïtien en sciences sociales requérant l’anonymat ayant lu les diatribes de M. Lubérice a expliqué son inconfort en soutenant que ‘‘l’auteur comme faisant parti du pouvoir ne peut pas se plaindre du fait que le pays soit devenu plus pauvre après les événements des 6, 7 juillet 2018 en imputant la faute aux acteurs économiques et encore moins à un seul homme. Le peuple n’a pas donné mandat aux détenteurs des pouvoirs économiques, encore moins au Docteur Boulos, mais à Jovenel Moïse qui a la responsabilité de s’assurer de la bonne marche de tous les secteurs du pays, y compris l’économie’‘. Je conçois mal, poursuit l’intellectuel, que M. Lubérice à travers son livre polémique, veuille imputer la responsabilité aux autres et dédouanant au passage, le président qu’il conseille depuis deux ans et demi.

Détenteur d’une maitrise en Sociologie et Docteur en Histoire obtenu à l’Université Poitiers, en France et professeur à l’Ueh, Josué Muscadin, pour sa part estime être sorti déçu de la lecture de l’ouvrage de M. Lubérice ‘‘Est-ce que ça dérange’‘, paru en 2016, pour renouer une aventure de lecture avec le même auteur pour ce ‘‘pseudo-livre’‘ écrit dans la rapidité et sans rigueur intellectuelle qui devrait être l’apanage de M. Lubérice. ‘‘Je n’ai pas prêté beaucoup d’attention à ce livre parce que la démarche qui le sous-tend me semble procéder davantage d’un règlement de compte entre alliés d’hier et ennemis d’aujourd’hui que d’un vrai souci de proposer une réflexion qui apporterait quelque chose de nouveau et de pertinent dans le champ des savoirs sur Haïti. Ce même constat vaut pour « Est-ce que ça dérange ? » que j’ai lu et dont la lecture m’a laissé sur ma soif, ce qui explique pourquoi je ne suis pas particulièrement intéressé à ce dernier livre’’, a critiqué le Docteur Muscadin.

Dans un autre registre, le professeur en a profité pour dénoncer cette nouvelle tendance observée auprès d’auteur du même acabit que M. Lubérice.
‘‘J’observe, par ailleurs, depuis quelques années un phénomène qui me semble être sans précédent dans l’histoire de l’édition en Haïti : on assiste à la publication d’un certain nombre d’« ouvrages à effet marketing » dont les titres sont, à l’évidence, conçus pour compenser la faiblesse ou, certaines fois, la vacuité du contenu. C’est assez dommageable.  Ces livres qui sont destinés à vendre davantage une idée avantageuse des auteurs que d’exposer une pensée digne de ce nom mobilisent malheureusement plus de monde que des travaux qui abordent intelligemment la question haïtienne’‘, regrette le professeur Muscadin.

Un autre lecteur avisé des écrits de Rénald Lubérice a été cependant plus indulgent. Il a quand même loué l’effort de réflexion de ce dernier.

L’indulgence du Docteur Weibert Arthus

Quand au Docteur en Histoire et spécialiste en Relations internationales et ancien responsable de la Chaîne 22, Radio Télévision Caraïbes (RTVC), Weibert Arthus, plus indulgent et positif a quand même relevé des manquements majeurs dans la posture adoptée par M. Lubérice. "J'ai pris beaucoup de plaisir à lire le texte de Rénald Luberice. L'auteur a profité du contexte pour produire des réflexions d'une grande valeur sur le rôle et la responsabilité des agents économiques dans la situation socio-économico-politique du pays. Par contre je juge l'ouvrage trop court. C'est le troisième ou quatrième texte que l'auteur nous présente dans ce format. Il doit faire un effort pour présenter quelque chose de plus consistant la prochaine fois, puisqu'il sait écrire. Et il y a de la profondeur dans sa pensée. Ensuite, le titre du texte est à mon avis trop dirigé vers Reginald Boulos. Par ailleurs, l'auteur pouvait -sans être obligé- de nous dire que le titre est un emprunt d'un pamphlet écrit en France il y a quelques années. Finalement, en termes de contenu je suis resté sur ma soif. Rénald Luberice se positionne ici comme un observateur, alors qu'il est un acteur du jeu politique des dernières années. En tant qu'historien les témoignages des acteurs valent plus que leurs observations. Je suis intéressé à savoir ce qu'ils ont vécu, ce qu'ils ont essayé de faire, ce qu'ils ont réussi à faire, les obstacles et éléments de blocage. Maintenant, je dois admettre que l'auteur, grand fonctionnaire de l'État, est obligé à la retenue. Il pourrait, devant cet état de fait, choisir de publier un peu plus tard. Même si le contexte est idéal pour la publication des analyses dont le livre est l'objet."


Pour pasticher le commentaire du Docteur Arthus Weibert, force est de reconnaître que M. Lubérice peut écrire et de fait, sait écrire. Par exemple il a une écriture éclairée et pro féministe. Il ne met pas les deux sexes dans un fourre-tout grammatical. Il distingue les hommes des femmes. Même s’il tombe dans le piège machiste du masculin qui l’emporte sur le féminin quand il doit faire l’accord avec les adjectifs qui suivent les pronoms ou noms des deux genres. Il ne fait pas de phrases boiteuses ou dépourvues de sens. Il maitrise la grammaire et l’orthographe de la langue utilisée. Le potentiel est là. M. Lubérice n’a qu’à se dépouiller de sa paresse intellectuelle et produire des réflexions plus profondes avec une rigueur scientifique, vu son statut de professeur en Haïti. Même s’il pêche gravement en soulignant dans sa biographie qu’il a enseigné à l’Université Paris VIII. Fait impossible puisqu’il n’a pas encore soutenu sa thèse doctorale et vue qu’il n’est même pas Maitre de Conférence. Donc impossible qu’il ait obtenu le grade de professeur en France.

Il reste que la tendance polémique et la posture de donneur de leçon de M. Lubérice font défaut. Il est fossoyeur de la catastrophe du pays avec un président inefficace (parce qu’il assume avoir été un acteur important dans l’élection de Jovenel Moïse) et est aussi un acteur du rendement pitoyable des derniers gouvernements du pays. Parce qu'il a été et est toujours du pouvoir, tout ceci  l’emporte sur la profondeur et la maturité de ses écrits. Ce qu’il décrit dans son dernier pamphlet est un fait. Les détenteurs du pouvoir économique en Haïti, jouent une part importante dans la pauvreté endémique du pays. Cependant, comme proche et conseillé des deux plus inefficaces présidents d’Haïti (parce que l’indice de développement d’Haïti a considérablement régressé sous la baguette de Michel Martelly et de Jovenel Moïse), il n’a ni la moralité, ni la légitimité de dénoncer les malheurs du pays s’il ne se désolidarise d'avec le pouvoir en place en démissionnant de ses postes de conseiller politique et de Secrétaire général du Conseil des ministres. Dans ce pamphlet ‘‘Ce dont Réginald Boulos est le nom’‘, le nom de celui qu’il appelle le ‘‘prince’‘ du système des oppresseurs économiques, Réginald Boulos est cité 33 fois. Dans son argumentaire, quoique sanglé, on comprend clairement qu’un individu à lui seul ne peut incarner ce système d’oppression. Lui-même a distingué l’ensemble des groupuscules qui composent ce système responsable de l’enlisement d’Haïti dans son abjecte pauvreté. Donc l’association de ce système au Docteur Boulos seul est fait dans un esprit de méchanceté et de vengeance. Un acte gratuit qui semble être guidé par une volonté personnelle et mesquine.

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