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jeudi 22 août 2019

Motocyclette en Haïti: la mort sur deux roues



On n’a pas de chiffres. En Haïti, nous ne sommes pas des scientifiques. Nous sommes encore loin de la cueillette systématique de données sur les phénomènes qui font mouche au sein de la société. Mais tout le monde le sait, parce que chacun de nous en a été témoin au moins une fois. Les accidents, mortels ou pas, de la circulation avec l’implication des motocyclettes en Haiti sont des faits quotidiens. Depuis plus de deux décennies, la mort en Haïti roule sur deux roues.


Le genre d'image que l'on voit souvent sur les routes haïtiennes.
Photo: haitiliberte.com
Vania derrière les vitres de sa voiture a le sang qui glace. Une mère qui tient un parasol avec la main droite et en bandoulière sur la main gauche, un nouveau né. Rien ne l’accroche au conducteur qui se fraie une route entre les véhicules immobilisés dans un embouteillage à Delmas 33. Vania jette un coup d’œil à l’arrière de son véhicule pour regarder son fils de 4 ans, attaché dans son siège-auto. Elle a un pincement de coeur qui lui fait mal. Il est vrai que sa situation économique doit être très différente de celle de cette mère avec son bébé derrière la moto, pense-t-elle, mais dans un pays où l’État fait son travail de protection des citoyens, de telles pratiques devraient être interdites, raisonne-t-elle. Même si la moto nous fait côtoyer la mort au quotidien, force est de reconnaitre que celle-ci est devenue un phénomène de société et une activité économique florissante en Haïti.

Le taximoto partout présent en Haïti

Il est un fait indéniable. Le taximoto est un phénomène urbain, et même rural aussi, qui devient omniprésent en Haïti. Partout dans la capitale, Port-au-Prince et dans les villes de province, on retrouve, pêle-mêle, des motards stationnés qui attendent des clients. À toute heure du jour et de la nuit. Souvent en dehors des normes de stationnement, gênant piétons et automobilistes. 

À côté des marchands de rue, les taximotos sont les plus présents dans les espaces urbains. Ils constituent un moyen de transport rapide et pratique par rapport aux rues, boulevards et allées engorgés par les embouteillages. Presque tout le monde a maintenant dans son répertoire téléphonique, le numéro d’un taximoto. Pour ceux et celles qui sortent en boîte régulièrement ainsi que ceux et celles qui travaillent tard la nuit qui n’ont pas de véhicule, c’est l’un des contacts les plus importants du répertoire. Un tel phénomène, qui a laissé le cadre urbain pour gagner même les zones rurales les plus reculées a certainement des retombés sur l’économie du pays.

La moto, une véritable filière commerciale

Encore une fois, on ne dispose pas de chiffres sur le nombre de motocyclettes vendues en Haïti ou de l’argent que génère leur vente. Mais en 2016, la Police de la troisième ville du pays, les Cayes, avait enregistré 38,951 motocyclettes. Mais on sait que ce chiffre est loin d’être exhaustif quand on constate la quantité de ces engins à deux roues qui circulent sans plaque d’immatriculation dans cette ville. Et du côté des motards, il n’y a pas non plus de chiffres disponibles sur ce que cette activité permet d’engranger. Mais on peut constater que la vie des dizaines de milliers de famille en dépend. C’est devenu une filière commerciale importante dans l’économie haïtienne. 

Les différentes activités rentables liées au taximoto se développent à un rythme effarant. D’une part, il y a les concessionnaires de motocyclettes (même ceux qui vendent des voitures de luxe et des magasins d’électro-ménagers s’y sont mis) qui écoulent ces engins comme des petits pains. D'autre part, il y a cette activité économique de chauffeur de taximoto qui compense le taux élevé de chômage au niveau de la population active masculine du pays; la vente de pièces et accessoires, la réparation et l’enjolivement des motos; la réparation des pneus… tous sont des activités qui génèrent des entrées considérables qui doivent avoir leur poids dans l’économie moribonde du pays. Mais ce phénomène social et économique traine derrière lui son cortège de conséquences. La sécurité et la vie des citoyens en pâtissent. Et à côté l’État est quasi inexistant. 

L’OAVCT ne reconnait pas le (s) passager (s) du taximoto

Saviez-vous qu’il est fait obligation à tout propriétaire, personne physique ou morale (individu ou institution) de motocyclette de se souscrire à une assurance contre-tiers de l’Office Assurance Véhicules Contre Tiers (OAVCT)? Saviez-vous que la majorité des motocyclettes qui circulent sur la voix publique sont des taximotos? Saviez-vous que l’OAVCT ne reconnait pas le taximoto? Oui, l’institution publique chargée d’assurer tous les véhicules à moteur qui circule sur la voie publique ne reconnait pas le passager assis à l’arrière du motard. Cela veut dire que la mère et son bébé que Vania avait vus derrière la moto à Delmas 33, ne seront nullement pris en charge ou dédommagés en cas d’accident. Alors que le même État haïtien délivre à ces motos des plaques de transport public. Seulement le conducteur, en cas d’accident, pourra bénéficier d’un dédommagement de la part de l’OAVCT si celui-ci portait un casque et si tous ses papiers étaient en règle. Selon la dernière lois en date régissant la matière (octobre 2003), rien n’est prévu pour le ou les passagers. Parce qu’ils peuvent être plusieurs derrière le conducteur. Et à ce niveau, la police a baissé ses gardes. Depuis longtemps. Dans les faits, l’irresponsabilité de l’État haïtien est de loin plus grave que ça. Vous en doutez? Poursuivez la lecture.

L’État haïtien n’existe pas dans ce domaine

Milca est une très jeune normalienne. Elle venait de décrocher une chaire de professeur dans une école publique à Léogâne, commune du Département de l’Ouest, située à une trentaine de kilomètres de Port-au-Prince. C’était sa première journée de classe. Après être descendue l’autobus qu’elle avait pris au Portail de Léogane, à Porta-au-Prince, elle prend place derrière une moto et demande au motard de la déposer à l’école où elle était assignée pour son cours de littérature. Affairée à son téléphone intelligent, elle n’a pas vu le temps passer. Mais plus de trois bonnes minutes se sont écoulées, mais la moto était toujours clouée sur place. Elle demande au conducteur pourquoi il ne s’était pas encore déplacé, c’est alors qu’elle comprend, après explication, que le taximoto se pratiquait à Léogâne comme les taxis (voitures) dans les stations à Port-au-Prince, ils attendent un certain nombre d’occupants (5 à 6) avant de se déplacer, parce qu’en Haïti, les taxis n’ont pas de compteur, chaque passager paie pour sa course en fonction de sa destination. La moto de Milca attendait au moins deux autres passagers avant de se déplacer. 

Partout, à Port-au-Prince et encore plus en province, les motos transportent, à part le motard, entre trois à quatre autres passagers. Dans le cas d’enfants, le nombre peut doubler. On connait tous le cas de motos qui offrent le service de transport d’écoliers. Dans ces cas, les enfants sont comme une liasse d’objets accrochés à la moto. Les taximotos passent devant des agents de la circulation ou des commissariats sans être inquiétés pour la surcharge et encore moins pour le fait de transporter des enfants en bas âge. C’est devenu chose normale en Haïti. 

Autre anomalie qui confirme l’irresponsabilité des autorités haïtiennes est le laisser-aller qu’on observe au niveau des villes de province. Les motos roulent sans souci sans plaque d’immatriculation. Ce qui veut dire que celles celles-ci ne sont enregistrées nulle part. À Port-au-Prince c’est mois courant. Ce sont les motos de la police nationale qui ne sont pas immatriculées. On sait que c’est une moto de la PNH quand le policier qui le pilote est en uniforme ou sur certaines on y inscrit “Police”. De toute façon, la police ou les autorités en Haïti sont les premiers à déroger les lois et règles établies. Et ce n’est un secret pour personne, la majorité de ces motards ne sont pas qualifiés pour piloter la moto et pouvoir garantir la sécurité des passagers et ils ne connaissent absolument rien des règles de la circulation. 

Les règles de la circulation, connais pas!

Quel conducteur sur les routes haïtiennes ne s’est pas encore fait dépassé par une moto sur la main droite? Qui fréquente les rues haïtiennes et peut affirmer n’avoir jamais été témoin des agissements rocambolesques des conducteurs de moto sur nos routes, spécialement des taximotos? Ces derniers ne connaissent pas les règles régissant la circulation sur la voie publique. Mais pourtant, ils sont presque tous détenteurs d’un permis de conduire. Cette pièce que la loi haïtienne reconnait comme obligatoire pour piloter tout véhicule à moteur sur la voie publique est une formalité liée à l’argent. N’importe qui, sans passer un test d’habilité peut avoir son permis. Il suffit d’avoir entre cinq mille à quinze mille gourdes et pouvoir contacter les personnes qui font de cette activité leur métier. 

Souvent, on observe des prises de bec entre conducteur automobile et motards sur les routes. Point besoin de faire comprendre aux pilotes des motocyclettes qu’ils avaient tort d’agir de telles ou de telles façons. Ils ne reconnaissent pas leur tort parce qu’ils ignorent tout simplement l’existence des règles de la circulation. Et quand c’est un motard qui en sort victime, il y a une solidarité agissante qui surgit entre les conducteurs de ces engins à deux roues. Ils envahissent, frappent, cassent, brûlent et dans certains cas, tuent même le chauffeur d’auto fautif. Et les accidents mortels, graves ou moins graves qui sont dûs le plus souvent à la mauvaise conduite des motards sont légions. Entre 2014 et 2015, les hôpitaux de la seule ville des Cayes  a enregistré 2,166 cas d’accidentés de la motocyclette, soit plus de cinq accidents par jour. N’imaginons pas les chiffres de toutes les villes d’Haïti en 2019. Parce que les motards sont devenus plus nombreux et toujours aussi sous qualifiés. 

Les taximotos représentent une alternative efficace par rapport au service de transport en Haïti qui est encore à l’état embryonnaire. Mais la moto comme moyen de circulation rapide est aussi privilégiée par les voleurs, bandits et assassins qui l’utilisent pour s’enfuir après leurs forfaits ou pour prendre en filature leurs prochaines victimes roulant en voiture. Mis à part l’insécurité quelle favorise, la moto représente un véritable danger public pour les passagers et tous les usagers de la route en raison de l’inexpérience et de la non connaissance des règles de la circulation par les motards. Et l’état haïtien joue à l’autruche. Rien n’est fait de façon constante pour régler les problèmes liés à cette activité nécessaire et utile. À un député du département de l’Ouest à qui on a demandé pourquoi le parlement qui coûte si cher aux contribuables haïtiens ne se penche pas sur ce dossier pour légiférer ou mettre à jour les lois, il a répondu qu’aucun parlementaire ne voudrait être à l’origine d’une loi qui viendrait mettre de l’ordre dans ce secteur. Pourquoi? Pour ne pas compromettre son prochain mandat, a-t-il cyniquement fait comprendre. N’attendons rien de bon pour ce secteur. Attendons seulement le prochain accident ou la prochaine mort liée à la moto. L’espoir ne peut être que ça, il parait.


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