A propos

mardi 25 juin 2019

La petite liste d’épicerie de l’opposition



Le ridicule ne tue pas. Mais dans le cas d’un pays déjà à l’agonie, oui. L’opposition à l’inefficace présidence de Jovenel Moïse s’est couverte de ridicule. Haïti en même temps. Elle a produit, dans sa démarche de chasser l’ancien homme-banane du pouvoir, un document pauvre, appelé pompeusement : “Alternative consensuelle pour la refondation d’Haïti”. Des voeux pieux, des aphorismes sans argumentaire qui s’étendent sur 4 pages. Seulement. Une petite et simple liste d’épicerie. Épluchons!


Photo archives 2018/HPN: Des représentants de l'Opposition dite démocratique
lors d'une conférence de presse en 2018
Même si le document était présenté comme un résumé des grandes résolutions en vue de cette refondation de la nation, il serait quand même un pêché. Pourquoi? Il est trop léger. Non argumenté. Pas innovant. Dénué de profondeur. Ne relativisant, en grande partie, que les problèmes liés à la politique. À aucun endroit, l’épineux problème éducatif n’est figuré dans l’équation. Encore moins l’environnement. Pour ne considérer que ces deux exemples.

L’opposition, à travers ce chiche document, a la grande prétention de refonder Haïti.  Des idées faibles, trop faibles qui ne répondent absolument pas à l’ambition de ces protagonistes. Tout le projet se résume à: acculer le très inefficace exécutif et l’inutile législatif à sortir par la petite porte (le judiciaire ne sera pas touché, il parait); organiser une conférence nationale; doter le pays d’une nouvelle constitution et organiser des élections générales en 2021. Mais le comment de la réalisation de ces “voeux-objectifs” n’est pas présenté. Ainsi, Haïti sera refondé. Par la seule force de ces intimations. Une insignifiante liste de souhaits avec des rêves en couleur. C’est là, toute la proposition alternative qui doit reconstruire le pays sur de nouvelles bases avec de nouvelles valeurs.

L’“Alternative consensuelle pour la refondation d’Haïti”

Le document en question est présenté en trois parties. Le titre tout en majuscule et souligné est suivi de la partie dénommée “Le Contexte”. Cet intertitre souligné, écrit dans une autre police, est en italique.

Premier paragraphe 

D’entrée de jeu, ce paragraphe, composé de trois phrases, situe le contexte actuel d’Haïti: “crise générale qui menace son existence même”. Ils disent vrai. Presque tous les compteurs sont au rouge. La crise qui s’abat sur le pays est politique, sociologique, économique, éthique, culturelle, environnementale, existentielle…

Mais le texte tombe dans la banalité quand il est mentionné que cette crise est le résultat d’un ensemble de problèmes que confronte le pays depuis 1806. Point. Une année est avancée. Et c’est tout. L’événement qui a entouré cette date n’est pas mentionné. Pourquoi cette date? Pourquoi c’est à partir de 1806 que les problèmes du pays ont commencé? C’est simplet de juste situer, sans argument, l’origine des séries de crises du pays à partir de l’assassinat de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines (on ose deviner qu’ils voulaient parler de cet événement malheureux de l’histoire d’Haïti).

L’écolier en classe de 5e année (Moyen I), ayant appris par coeur le chapitre rocambolesque relatif à la mort de Dessalines pourrait, lui aussi, évoquer cet événement pour marquer le point de départ de nos crises. Sans donner d’explication. Où se situeraient alors l’intelligence et la maturité d’analyse et de compréhension des membres de l’opposition par rapport à cet enfant, à qui on pourrait ne pas exiger un argumentaire pour une telle assertion? C’est un jeune haïtien, très jeune, qui n’a pas le recul nécessaire pour appréhender la dimension de l’acte crapuleux posé en 1806. Et il n’a certainement aucune idée de la suite des événements majeurs qui ont émaillé le cours de l’histoire d’Haïti et qui pourraient être éventuellement à l’origine, ou pas, de la situation désespérante du pays en 2019. C’est une insulte à l’intelligence collective de faire aussi simple pour camper le début des grands maux d’Haïti. Mais en avançant dans le document on constate qu’ils n’ont pas fait mieux que le commencement.

Deuxième paragraphe

Le deuxième paragraphe du document qui s’étend sur 26 lignes et trois mots, est une continuité fidèle du premier. Des allégations sont évoquées. Sans explication. Sans preuve. Sans être argumenté. Comme si elles s’expliquaient par le simple fait de leur  mention. Comme le ferait le commun des mortels ou les bruyants donneurs d’avis pondus par le système d’exclusion et d’injustice sociale du pays, l’opposition qui prétend à la magistrature suprême du pays, avance aussi des avis qu’elle assimile à des faits. Des propos qu’elle ne se donne pas la peine d’étayer.

Dès la deuxième phrase du long paragraphe, l’opposition traite le président Jovenel Moïse d’illégitime et affirme qu’il est “inapte de surcroit”. Inapte à faire quoi? Illégitime, pourquoi? Il est laissé au lecteur ou à la lectrice du texte de se donner des raisons. Ou des explications. Cette partie du texte est, tout compte fait, un exercice trop facile pour des prétendus au pouvoir.

Jusqu’à la 17e ligne de ce paragraphe, il est fait un étalage d’accusations sans preuves mais aussi de faits avérés résultant effectivement du crétinisme et de la mauvaise gestion de l’équipe au pouvoir. Parmi les faits mentionnés, le déficit budgétaire record de plus de quarante milliards de gourdes enregistré en une année fiscale par cette gouvernance. L’inflation. La publication du rapport de la Cour des comptes dans lequel le nom du président Jovenel Moïses est mentionné comme dirigeant d’entreprises ayant participé à la dilapidation des Fonds Petro Caribe. La décote de la gourde par rapport au dollar américain. Au moment où le léger texte de l’opposition se produisait, on devait avoir besoin de 93 gourdes pour acheter un dollar. Au moment où nous en faisons cet épluchage, il faut 94 gourdes pou un dollar, si vous achetez jusqu’à 100 dollars. Plus, beaucoup plus s’il vous faut plus de 100 dollars.

À partir de la 18e ligne du paragraphe en question, le texte argue que le peuple demande des comptes. Ils prennent pour preuve les mobilisations populaires récentes, même celle datant avant l’embêtante (pour le pouvoir) affaire Petro Caribe. Ils évoquent  la mobilisation spontanée et populaire des 6,7 et 8 juillet (qui n’avait rien à voir avec la question de lapidation des Fonds Petro Caribe). Le feu de cette mobilisation s’est allumée à partir de l’annonce de l’augmentation du prix des produits pétroliers sur le marché haïtien. Bien entendu, cette explosion populaire a ensuite pris des proportions politiques jusqu’à la réclamation du départ du président de la République. De cette mobilisation, la tête du lourdeau et effacé premier ministre Jean Guy Lafontant est tombée.

Le texte mentionne les autres dates de manifestions aux lourdes recettes en terme de participants pour signifier le divorce de la population d’avec l’héritier des “crânes rasés”: 17 octobre, 18 novembre 2018 et la semaine où tout était au point mort, du 7 au 17 février 2019. La date du 18 mai 2019, un véritable flop pour l’opposition qui avait pris l’initiative de la mobilisation, est aussi avancée.

Mais le plus grand péché de cette partie est le fait qu’ils allèguent que durant ces ébullitions massives, les protestataires réclamaient la tenue du procès Petro Caribe et de la conférence nationale. Jamais il n’y a eu durant ces mouvements contestataires des demandes formulées pour la tenue de la conférence nationale. Au départ c’était pour demander des comptes sur l’utilisation des Fonds Petro Caribe avec l’ashtag “Kot kòb Petro Caribe a?” devenu culte et parallèlement le départ du pouvoir de Jovenel Moïse était aussi réclamé par une frange importante de la foule.

Selon le document le président, loin de se plier aux revendications de la population qui a foulé le macadam, a préféré faire appel à des mercenaires étrangers et de gangs armés pour garantir son maintien comme chef de l’État. Toujours selon le texte de l’opposition, il s’en est découlé les massacres de la population à La Saline, à Carrefour-Feuilles et à Tokyo. Ils mentionnent, sans sourciller, des centaines de cas d’exécution sommaire à travers le pays. Mais sans préciser la source d’enquête qui a relaté ces cas d’exécution. Du grand déballage de graves accusations sans attester de l’origine de leurs sources d’information ou sans présenter les preuves.

Troisième paragraphe

Le troisième paragraphe, en quatre lignes et demi, conclut que pour mettre fin à cet état de fait et pour “refonder” Haïti, la “branche institutionnelle de l’opposition” après avoir consulté les “différents secteurs vitaux de la vie nationale” présente une “alternative concertée”.
Plus d’un doit se demander de quoi ou de qui est composée cette “branche institutionnelle de l’opposition”? De même que pour les “secteurs vitaux de la vie nationale”. Il serait légitime de connaitre les politiques ou les parties politiques, mêlés à ces sphères vitaux nationaux qui objectivent de refonder la nation haïtienne avec les résolutions qui vont suivre.

13 points construisent l’intertitre en italique et souligné: “Au niveau politique”. Ne vous fatiguez pas. Il n’y aura pas d’autres “niveaux”. Le prochain bloque de points est titré “Feuille de route du gouvernement de transition”.

“Départ sans délai de Jovenel Moïse”, commence le premier point qui est souligné et mis en gras. Il est dit qu’il sera remplacé par un juge de la cour de cassation.

Le deuxième point présente les critères de sélection du juge ou de la juge (cette précision de genre n’a pas été faite dans le premier point). Au fait, il s’agit de 3 critères: “l’intégrité” (soulignons que cette valeur est subjective et est difficile à mesurer par les autres); “bonne réputation” et “n’avoir aucune appartenance politique connue”. L’utilité de ce critère est aussi discutable que le premier. À la minute où l’appartenance politique du ou de la juge n’est pas connue, c’est bon! Cela change quoi du point de vue pratique?

Le troisième point est la petite-grande tranche que s’offre l’opposition du gâteau. Il s’agit du poste de Premier ministre. Celui-ci doit sortir du camp de l’opposition. Mais celle “engagée”. La branche de l’opposition non engagée ne peut prétendre à cette part de sucrerie. Deux autres critères sont cependant énoncés: l’expérience dans la gestion “de chose publique” et celui-ci ne doit pas avoir participé dans la dilapidation des Fonds Petro Caribe. C’est le seul pêché à ne pas avoir commis pour espérer devenir Premier ministre de cette transition gouvernementale. Le détournement ou le gaspillage de l’aide-prêt vénézuélienne au développement d’Haïti, est probablement le seul mal fait au pays depuis 1806 (leur fameuse date). Seulement les présumés coupables de ce vaste gaspillage d’argent ne peuvent prendre part à ce mouvement de refondation du pays. En tout cas, à part le critère d’expérience dans l’État, c’est la seule barrière que dresse le document en face de quiconque de “l’opposition engagée”  qui rêverait de siéger dans la Primature, au Bicentenaire.

Le quatrième point explicite que le Premier formera un cabinet ministériel de 14 membres. Celui-ci, selon le texte, sera inclusif et représentatif. Un autre point évasif. Inclusif comment? Représentatif de quoi? Peut-être que dans ce cabinet les membres de l’opposition non engagée pourront espérer se voir réserver des places. Ou tout autre membre de partie politique. Qu’en sait-on.

Le cinquième point vente déjà ce qui sera la marque distinctive de ce gouvernement: la transparence. Mais on ne sait pas comment cette transparence sera matérialisée.

Le sixième point est comme ce qu’on appelle en cinéma un véritable “deus ex machina” (les dieux sont sortis de la machine). Un dénouement qu’on peut assimiler à un miracle. C’est l’opposition qui, après avoir constaté les mauvais agissements de l’actuel gouvernement, s’est empressé de prendre les résolutions, dont la première est le “départ sans délai de Jovenel Moïse du pouvoir”. Mais dans ce point 6, ils soulignent qu'un départ sous pression populaire du président Jovenel Moïse entraine automatiquement la caducité des deux pouvoirs exécutif et législatif”. Mais pourquoi seulement ces deux branches du pouvoir? Et le judiciaire? Pourquoi la caducité entrainée par le départ du président doit concerner le très inutile législatif? Ce dernier serait-il, selon les principes républicains, une extension de l’exécutif? Que fait-on du principe d’indépendance et de séparation des trois pouvoirs consacré dans les articles 58 à 60 de la constitution de 1987?

Le septième point fait grâce aux élus locaux. Il est dit que ces derniers restent en fonction.

Le septième point parle de la création d’une nouvelle entité qui doit remplacer le parlement: l’Autorité Nationale de Transition. Elle sera composée de 11 membres. Qui seront ces derniers? Comment va-t-on procéder pour les choisir ou les élire? Les réponses ne sont pas dans le document en tout cas.

Le huitième point relate la formation du Comité d’Organisation de la Conférence Nationale.

Le neuvième point stipule que les membres du dit comité et de son secrétariat exécutif seront nommés par arrêté présidentiel.

Sans indiquer si elle sera organisée et la date à laquelle elle doit être organisée, ni expliquer comment cette conférence nationale sera organisée, le point 10 souligne qu’un comité de suivi de la conférence nationale sera formée.

Le douzième point dit en 13 mots que le pays sera doté d’une nouvelle constitution. Point. Devinez de par vous-même qui seront ces constituants? Les justificatifs à l’élaboration de cette nouvelle constitution? (ça doit être la refondation d’Haïti). Quelles seront les grandes nouveautés de cette constitution? Ce n’est pas dans le document que vous trouverez réponse à ces questions.

Et le dernier point de ces 13 résolutions “au niveau politique” annonce que la transition prendra fin le 7 février 2022 avec l’installation d’un nouveau gouvernement démocratiquement élu.

Feuille de route du gouvernement de transition

25 points, les uns plus sommaires, évasifs, creux que les autres représentent la feuille de route du gouvernement de transition. Ils vont de l’organisation du procès de la dilapidation des Fonds Pétro Caribe à la mention de “lutte contre la contrebande”; d’annonce de lancement d’activité à haute intensité de main d’oeuvre et à l’organisation d’élection générale.

Ce document n’est rien que quelqu’un qui à l’habitude d’écouter les diatribes des politiques de tout acabit à la radio, ne peut réaliser. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil éteint de ce document qui se veut une alternative pour la refondation. C’est un travail trop sommaire pour la prétention à laquelle il tend. Un texte élaboré par de fervents paresseux intellectuels. Facile. Creux. Mais empreint d’arrogance et de prétention qui le dépasse de loin. Il ne sera rien de pays refondé. Cette prétendue alternative consensuelle n’est rien d’autre qu’une petite et simple liste d’épicerie.

Gaspard Dorélien, Master of Art

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