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jeudi 21 mai 2015

La relève haïtienne 2.0

Cette forme de danse osée est désormais la norme. C'était au Collège X, 
à Delmas à l'occasion de la célébration des 212 ans du drapeau haïtien.

    Le prétexte est de taille. C'est la fête du drapeau. Dans cette école classique de la commune de Delmas, de l’arrondissement de Port-au-Prince, les élèves de la Terminale mettent, à leur manière, tout en place pour célébrer les 212 ans du bicolore haïtien. Musiques étrangères, alcool, boissons énergisantes... Le gros du public présent a entre 4 et 16 ans. Bienvenue chez la relève haïtienne. A l’ère d’Internet. 


Un DJ, armé de ses haut-parleurs, vomit toutes les dernières tendances de la musique américaine, jamaïcaine... sur la petite cour. Ses choix rencontrent le goût de l’auditoire. Tous les tubes diffusés sont repris en choeur. Les danses et chorégraphies de chaque musique s’exécutent avec exactitude et entrain. Même par les plus jeunes. Déhanchements et mouvements à connotation sexuelle inclus. Tout ceci en présence d’un responsable de l’école qui est à la fois professeur de littérature.

Dans la foulée, l’odeur combinée de cigarettes, de marijuana, de rhum… embaume l’espace. Il est 14h. Le décor sonore, olfactif et physique est planté. Ici, au Collège X, à Delmas, une frange représentative de la jeunesse haïtienne, branchée, va “commémorer”, annonce les organisateurs, jusqu’à 18h, l’acte symbolique et déterminant posé le 18 mai 1803 par le père de la nation, Jean-Jacques Dessalines, à l’Arcahaie.

Célébrer le drapeau sans le drapeau 

18 mai 2015. Journée de la célébration du 212e anniversaire de la création du drapeau haïtien. Nous sommes dans cette institution scolaire privée chrétienne. Les élèves de la Terminale de cette école veulent, à travers cette journée récréative, marquer cette fête. Ce type d’activité est organisé dans nombres d’écoles privées à travers la capitale haïtienne. Cependant, il n’y a pas un seul drapeau dans les parages. Même le mât de l’institution est orphelin de son bicolore. A l’occasion, aucune conférence, réflexion, table ronde n’est prévue. 
Une seule élève, aux jambes interminables, a pensé à enrubanner sa tête d’un mouchoir aux couleurs nationales. Tous ou presque tous sont habillés à l’américaine. Beaucoup de jeunes gens ont leurs jeans vraiment en bas de leurs tailles pour laisser voir sous-vêtements ou même pire. Les filles, pour la plupart, portent collants ou jeans moulants et t-shirts assez courts pour avoir leurs nombrils à l’air. 

Aucune musique diffusée n’est haïtienne dans son essence, voir celles qui célébreraient le drapeau.  La majorité des acteurs présents est mineure. Pourtant, de la bière, du rhum… et toute la palette des boissons énergisantes locales sont disponibles pour tout acheteur. Au bar, aucun contrôle n'est opéré. Le principe est simple: argent contre ce que vous demandez. Alcool compris.

Alcool à gogo

Ici, en Haïti, les mineurs n’ont pas à se creuser la tête pour se fabriquer de fausses cartes d’identité. Ils peuvent se payer du rhum, de la bière, des cigarettes quand ils le veulent. Et ils ne connaissent pas de difficultés pour entrer et sortir dans les boîtes de nuit, les discos et les bars. Depuis assez longtemps, le contrôle de l’accès des mineurs à l’alcool est inopérant, voir même inexistant. Ce qui se passe dans cette école, ce lundi 18 mai, n’est pas un cas isolé. C’est une pratique. Ici, désormais, toute activité festive de la jeunesse suppose : musique étrangère à langage violent et/ou sexuel, alcool, cigarettes et dans certains endroits, de la drogue. Et tout cela marche de pair avec de la musique venue d’ailleurs.

Vive la musique importée

Ici, on ne s’amuse plus à l’Haïtienne. La présence d’un DJ dans presque tous les programmes impliquent automatiquement le bannissement de la musique locale, sinon, seul le rap et des créations sexistes ou grivoises au rythme du “rabòday” qui ont droit de cité. Ce dernier est une nouvelle tendance rythmique populaire qui connait un certain succès au détriment du traditionnel (compas, racine…). Et on retrouve cette préférence au sein de toutes les couches sociales et dans toutes les catégories d’école. 

C’est le même scénario observé vendredi dernier. Cette fois-ci, on est dans une célèbre école  congréganiste, cinquantenaire, à Port-au-Prince. C’est la finale d’un concours de beauté. Avant le lancement de l’événement, retardé pour des raisons de planification, l’assistance composée d’élèves et de quelques rares invités, des parents surtout, a droit à plus d’une heure de musique. Non stop. 

Le DJ présent, qui est une élève de cette école, secondée par un ami ainé, a très peu l’occasion d’utiliser son playlist. Des élèves en Terminale, sur l’estrade, se relayent avec leurs téléphones intelligents connectés à l’ordinateur des opérateurs. Les morceaux sont joués directement à partir de leurs appareils hi-tech. Tous les titres sont importés. Pas un seul n’est du terroir. Et l’auditorium au complet reprend à l’unisson les paroles, en anglais, en espagnol… des musiques jouées. On s’imaginerait mal être en Haïti dans une telle ambiance. 
La soeur supérieure et une autre, responsable d’une section, sont présentes aussi dans l’assemblée. Et apparemment, cette atmosphère est chose normale pour elles. Même si les gestes et danses accompagnant ces musiques s’assimilent au contenu sexuel des films X.

Du X pour tous

Au Collège X de Delmas et dans beaucoup d’autres écoles, cette journée du 18 mai est marquée par tout. Sauf par ce qui est haïtien. On ne retrouve chez les élèves aucun intérêt pour le symbolisme de cette date dans leur statut d’Haïtien. Les musiques jouées sont une invitation aux danses salaces et attouchements osés des uns et des autres. 

Dans un coin sur la cour, un peu sombre, où se retranchent les plus timides ou les plus entreprenants, deux jeunes filles, aux poitrines à l’état embryonnaire se distinguent du lot. Non pas que les autres soient des enfants de choeur, mais ces dernières sont les plus coopératives et les plus efficaces dans ce qu’elles font. Malgré leurs très jeunes âges. Elles ne se font pas prier pour offrir leurs postérieurs aux déhanchements, coups de bassin, fessées des petits et grands. Les deux mains au sol, les fesses rebondies tournoient et épousent les mouvements de tous les cavaliers qui veulent les chevaucher. Elles observent de toutes petites pauses pour se rafraichir ou se noyer le gosier à grandes rasades du cocktail nocif composé de boissons énergisantes et de rhum. 

La danse “NaeNae” maitrisée à 4 ans 

4h25. C’est le couple d’une fillette de 4 ans et d’une autre de 7 ou 8 ans qui monopolise les regards. Elles dansent la “NaeNae”. Prononcé “Ney ney”. Ce que “NaeNae” veut dire? Il faudrait poser cette question au groupe rap “We Are Toonz" d’Atlanta, en Georgie aux États-Unis qui a créé cette danse. Elle a été révélée en novembre 2013 à travers la musique “Drop that NaeNae”. Pendant toute la journée, cette danse qui a quelque peu volé la vedette à ses devancières “Twerk” et “Harlem Shake” chez Oncle Sam ou chez nous en Haïti, est omniprésente. Les deux jambes écartées, légèrement fléchies, cadence à droite et à gauche, le bras droit en l’air avec la main ouverte prête à exécuter le mouvement d’une gifle quand le “waaah!” de la musique retentit. Et ceci se répète indéfiniment. C’est un peu ça la “NaeNae”. Les deux fillettes étonnent par la justesse des mouvements et provoquent l’admiration des aînés. Pas pour longtemps. La “NaeNae”,  tendance du moment, est contagieuse. Tout le monde ne tarde pas à s’y mettre. La gloire des deux jeunes vedettes est éphémère. Elles disparaissent sous peu dans un tourbillon de mouvements de bric et de broc avec une fin commune, la détente de la main droite à singer le geste de la gifle sous le coup du “waaah!”.

On pourrait tenter de dire que les jeunes Haïtiens entrent en transe quand ils écoutent ces musiques venues de loin, dont les paroles et vidéos sont désormais à portée de quelques touches de leurs téléphones. Ils savent tout du dernier album de Rihanna et ignorent le vrai nom de BIC. L’archétype d’une jeunesse, la relève de demain du pays, qui se détache viscéralement de tout “made in Haiti”.  

Gaspard Dorélien
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